Défense de la langue française   
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Éditorial N° 195

par : Jean DUTOURD de 1 'Académie française

L'ACCUEIL DU PRÉSIDENT

MAMOUCHKA À DLF
Voici le discours prononcé par notre président pour accueillir Mme Hélène Carrère d 'Encausse, le 25 mars, à l'occasion du déjeuner de DLF dans les salons du Sénat.

Madame le Secrétaire perpétuel,

Madame Hélène Carrère d'Encausse Est-il convenable de dire à une jeune femme comme vous qu'elle est notre mère ? En effet, nous sommes quelques-uns, ici, à ne plus être de la première jeunesse, et moi-même, qui suis en train de vous haranguer, je suis assez loin d'être un enfant. Mais peu importe, je n'en démords pas : vous êtes notre mère. Vous savez comme moi et même mieux que moi - que les bons Russes, jadis, appelaient leur tsarine « Petite mère » ou « Mamouchka ». Voilà le nom que nous vous donnons dans notre coeur.

Mamouchka, donc, je vous souhaite la bienvenue parmi nous. Étant secrétaire perpétuel de l'Académie française, vous êtes l'incarnation véritablement statutaire, si j'ose dire, de notre patrie, qui est la langue française. Celle-ci a toujours été menacée. Elle l'est particulièrement aujourd'hui et nous, DLF, nous avons été, je crois, parmi les premiers, si ce n'est les tout premiers, à nous être avisés que ce danger devenait imminent et grave, puisque, depuis bientôt un demi-siècle, nous avons commencé à « former nos bataillons » comme dit une vieille chanson qu'il nous est arrivé de fredonner dans des circonstances plus dramatiques que la Coupe du monde de football.

Un des aspects déplorables de la seconde guerre mondiale est que nous ne l'avons pas gagnée. Il n'y a rien de tel que de gagner les guerres pour imposer un langage au monde ou, tout au moins, à une partie du monde. Le vainqueur de la dernière guerre ayant été les États-Unis, il était inévitable que la langue américaine envahît, aussitôt ou progressivement, les territoires qu'ils avaient conquis ou, pour employer l'expression moderne, « libérés ».

Nonobstant, cinquante ans après qu'une guerre est finie, tout est remis en place. Je veux dire par là que les vainqueurs et les vaincus rentrent plus ou moins dans leurs limites habituelles, géographiquement et spirituellement. Notre malchance a fait qu'au moment où se constituait l'Europe de façon décisive, c'est-à-dire depuis vingt-cinq ans grosso modo, et où le gouvernement de la France requérait plus de vigilance et de volonté politique qu'à toute autre période de son histoire, notre pays n'ait eu, à sa tête, que des petites gens qui étaient tout occupés à jouir des privilèges de leur fonction et qui, en fait de volonté, n'avaient que celle de rester au pouvoir. Tous ces gens-là étaient fort indifférents à ce qu'on parlât chinois, bantou ou américain dans les institutions internationales et la défense du français comme langue universelle était le cadet de leurs soucis. Il l'est toujours, d'après ce que nous constatons chaque jour. D'ailleurs le pire était à craindre lorsqu'on a inscrit dans la Constitution que « la langue de la République était le français ». Quand on éprouve le besoin de proclamer explicitement une chose qui va de soi, c'est que justement, la chose ne va plus de soi.

C'est ici, Mamouchka, que je reviens à vous et à la Compagnie aux destinées de laquelle vous présidez. L'Académie française, par la force des choses ou la carence des politiques, est devenue une sorte de ministère d'État au-dessus des autres ministères, au-dessus même du Premier ministre, puisqu'elle est la seule institution sans pouvoir officiel à être le défenseur de la langue française. C'est vous, Mamouchka, qui êtes le titulaire de ce formidable portefeuille, et en qui nous mettons toute notre confiance. Nous comptons bien, au cours des années qui viennent, que nous aurons plus d'une fois l'occasion de dire de vous, avec attendrissement et fierté, et en dépit des directives gouvernementales sur la féminisation à tout prix : « Cette femme-là, c'est un homme ! »
Jean DUTOURD
de 1 'Académie française
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