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Éditorial N° 228
À Claude Imbert
Notre président a remis le prix Richelieu 2008 à Claude Imbert,
le 12 avril, dans les grands salons du Sénat, au cours de la réception
organisée pour fêter le cinquantenaire de DLF.
Remettre le prix Richelieu à Claude Imbert est pour moi une
expérience curieuse. J’ai l’impression d’être un délégué du comité
d’entreprise remettant au PDG après quarante ans de maison la
médaille des bons patrons.
En effet, pendant plusieurs années, j’ai toujours été surpris par sa
bonne grâce, sa gentillesse, sa façon amène de corriger les erreurs.
J’étais son employé et j’ai fait avec lui cette expérience étonnante
d’un chef qui vous adresse toujours des compliments et non des
reproches. Non pas des compliments mondains ou démagogiques mais de vrais compliments portant sur des textes qui étaient bons
ou sur une langue qui était simple, avec un sens de la réalité
moderne qui n’excluait pas la connaissance du passé.
Autrefois, les carrières journalistiques commençaient aux pages
des sports. On avait quinze ou seize ans et on s’engageait comme
grouillot dans ce service où il n’y a pas de place pour la médiocrité.
Après quoi, trente ou quarante ans plus tard, on se retrouvait
rédacteur en chef du journal, voire directeur. Je ne sais pas si
Claude Imbert a été grouillot aux sports dans son adolescence
mais il mériterait de l’avoir été. Son style n’a évidemment rien de
commun avec les envolées lyriques sur le Tour de France ou sur le
match de retour Cardiff contre le PSG. Il est devenu un excellent
style français.
Un des côtés attachants de Claude Imbert journaliste, c’est qu’il
aime autant les lettres que la politique, sinon davantage. Je veux dire,
naturellement, la bonne littérature. J’en parle en connaissance de
cause: il est le seul directeur de journal à m’avoir demandé une série
de chroniques sur la réimpression des classiques français et étrangers.
J’avais attendu une rubrique de ce genre pendant quelques années et
je désespérais qu’elle m’échût jamais. Les choses les plus inattendues
arrivent quelquefois. Cette rubrique, Claude Imbert la créa pour
moi et elle dura plusieurs années. J’eus le plaisir et la surprise de
constater ainsi, grâce à lui, que j’étais une sorte de Sainte-Beuve au
petit pied et j’y trouvais quelquefois des expressions et des vues du
XIX
e siècle. Comment ne pas avoir d’amitié et de reconnaissance
pour un homme qui vous permet de penser comme on pensait il y a
cent cinquante ans ?
J’ai conservé un petit mot qu’il m’a envoyé après un article que
j’avais publié sur Suarès, auteur remarquable que personne ne
connaît plus. Quel directeur à part lui ferait une chose aussi
touchante ? On me pardonnera de le citer : « Je ne sais s’il est ridicule de vous dire à quel point vos papiers m’enchantent. Je les
trouve de plus en plus enjoués à mesure qu’ils sont plus profonds. »
Les discours des délégués du comité d’entreprise ont en général
un ton grondeur qui doit refléter, plus ou moins je pense, l’esprit
de lutte des classes. Quant à moi, je n’ai jamais senti avec Claude
Imbert la lutte des classes mais au contraire, toujours, la sympathie
et l’amitié qu’un maître peut éprouver à l’égard d’un de ses ouvriers.
En quoi il défendait la langue française, mais encore il l’illustrait.
Jean DUTOURD
de 1 'Académie française
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