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Il est singulier que personne n’ait jusqu’à présent donné aux
attaques contre la langue française entreprises depuis une
trentaine d’années le nom qui leur convient. Il existe pourtant, et
il est dommage qu’on ne s’en soit point avisé, car on ne combat
efficacement un ennemi qu’en sachant d’abord comment il s’appelle.
Le nom de l’ennemi, c’est son visage.
Inonder la langue française d’américanismes, de jargon
commercial ou pédant, de barbarismes publicitaires, de contresens
de traducteurs ignorants est exactement l’équivalent de laisser tomber
en ruine les beautés architecturales des villes françaises, de les raser,
de construire à leur place d’innommables gratte-ciel en verre. C’est
l’équivalent de lacérer à coups de couteau les peintures dans les
musées, de jeter les livres au feu, de décapiter les statues des saints
sur les façades des cathédrales. Cela aussi a un nom : vandalisme.
La langue française, telle que six siècles de littérature l’ont faite, est
notre plus précieux monument. J’entends d’ici les cris que pousserait
la nation si l’on rasait Versailles, Chambord et Notre-Dame de Paris afin
de bétonner à leur place des immeubles de cent vingt étages. Montaigne,
Molière, La Fontaine, Diderot, Chateaubriand, Balzac, Hugo,
Baudelaire, sont les Versailles et les Chambord de notre esprit. Les
coups de pioche des démolisseurs vandales ont commencé à les
ébranler. Si nous ne sommes pas là pour empêcher le massacre, et
aussi empêcher le génocide des Diderot et des Baudelaire de l’avenir,
notre littérature, c’est-à-dire notre âme, sera aussi pauvre et aussi
laide que les paysages français, inexorablement, sont en train de le
devenir.
Il faut prendre conscience que le vandalisme de l’esprit est aussi
horrible que le vandalisme des yeux. On ne voit pas Molière avec les
yeux, comme on voit la cour du Louvre ou la butte de la Défense.
Mais il est l’objet des mêmes attentats. Assassiner Molière, c’est
assassiner la France. C’est nous assassiner, nous, les Français, faire de
nous une peuplade comme une autre. Mieux vaut à tout point de
vue être américain.
Notre fondateur, Paul Camus, avait vu avec les yeux de l’esprit les
prémisses du meurtre. Lorsqu’il a créé l’association Défense de la
langue française, il a décelé les traces de la maladie alors que personne
ne les voyait encore. Aujourd’hui, c’est un grand nombre d’écrivains
célèbres, ou peu connus encore, qui dans ce livre ont apporté, par
leur témoignage, la confirmation que Paul Camus avait été prophète
en son temps et en son pays. Il n’avait pas prévu cependant que le
génocide de la langue française aurait eu pour complices des
personnages du Gouvernement ou de la haute Administration, de
la bourgeoisie nantie, etc. Même la modification de la Constitution
et la promulgation d’une loi sans équivoque ne sont parvenues
à endiguer l’inondation du charabia. Cet ouvrage dont
M
me Guillemette Mouren, notre secrétaire générale, a été le maître
d’oeuvre est une espèce de halte au milieu de nos combats. DLF pendant un demi-siècle a empêché, non pas le parricide qui continue
à s’accomplir mais à en retarder l’effet. C’est une victoire bien qu’elle
ait plutôt l’air de la défense d’une place assiégée. Tant que le dernier
bastion n’est pas tombé, le succès est possible. Comme toujours il
s’agit de force d’âme et non pas du dernier soubresaut du gibier
forcé dans un bois.
Jean DUTOURD
de 1 'Académie française
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NDLR : Orné de nombreuses illustrations en couleur
de Philippe Dumas,
Au bon beurre, l’un des grands
romans de notre président,
vient de paraître à
L’École des loisirs (368 p., 22, 80 €).
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