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Éditorial N° 254
Rhétorique des doigts
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Notre président est un merveilleux
intercesseur : la lecture de ses livres
enrichit et suscite toujours le désir d’en
apprendre davantage. Il en est ainsi de
Christine de Suède et la musique, son
nouvel ouvrage, dont nous extrayons ce
passage*.
Quand on fait le portrait de quelqu’un, on s’intéresse à ses
mains autant qu’aux traits de son visage. Ces mains ne sont
pas seulement fines, longues, délicates, comme celles
d’une sainte Madeleine du Maître de Moulins, doucement
jointes comme celles de Maria Portinari par Memling, ou
si gracieusement courbées pour tendre une pomme à son
Jésus. Déjà, les grâces de Botticelli. Au siècle où vit
Christine, la perfection des mains a changé, comme celle
des visages.
De « belles mains », au XVIIe siècle, ce sont celles qui sont
capables de dessiner dans l’espace une sorte de rhétorique
des doigts, et le faire avec grâce. Cela tient à l’art du ballet,
mais cela va plus loin. De « belles mains », ce sont celles
qui transcrivent avec les doigts l’élégance d’une âme, qui
suggèrent la délicatesse d’une pensée, la douceur d’une
émotion ; c’est une sorte de contrepoint que dessinent les
doigts sur la phrase en train de se dérouler, un léger appui
sur la délicatesse de l’adjectif, une paraphrase dans
l’espace, avec le même tempo, les mêmes articulations, de
ce qui est en train de se dire : en paroles, mais peut-être
aussi en silence, seulement par le jeu des paupières.
[...]
Ainsi, le corps avait sa rhétorique, tout comme la parole.
Bien parler, ce n’était pas seulement trouver l’expression
juste, mais aussi l’ornementer ; un geste
« poli » n’était pas
celui qui accompagnait ce que nous appelons
politesse,
c’était celui qui avait une sorte d’éloquence dans l’espace,
comme une tournure ajoute quelque chose aux mots.
Philippe Beaussant
de l’Académie française
* Christine de Suède et la musique (Fayard, 2014, 224 p., 19 €), p. 51 et 52.
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