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Éditorial N° 261
Aux Plumiers d’or
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Le 25 mai, dans les salons
Boffrand du palais du
Luxembourg, devant leurs
professeurs et leurs parents,
notre président, Xavier Darcos,
de l’Académie française, a
félicité les soixante lauréats du
Plumier d’or 2016.
Je voudrais d’abord remercier Madame le sénateur Jacky Deromedi
pour son accueil dans les salons du Sénat, féliciter l’amiral Rousseau
de sa métaphore filée sur l’écriture et le remercier de
l’engagement renouvelé de la Marine nationale qui, visiblement, a
séduit les jeunes ici présents.
Je suis fier de voir les jeunes visages des collégiennes et collégiens qui
ont participé au Plumier organisé par une association dont le nom
comprend le mot
Défense... Le terme semble revêche, même s’il s’agit
bien de protéger un vrai trésor. N’avez-vous pas l’impression qu’il y a
quelque chose de conservateur dans cette attitude et que la jeunesse
n’y serait pas la bienvenue ?
C’est tout le contraire ! Défense de la langue française, c’est une
association, vénérable certes, mais qui est entièrement tournée vers
l’actualité, vers ce qui se joue aujourd’hui. Et ce qui est en jeu
aujourd’hui, c’est la sauvegarde de notre langue, de notre manière de
nous exprimer, donc de notre manière de penser. Lorsque Richelieu
fonde l’Académie française en 1635, on y voit un conservatoire, un
peu tatillon, de la langue française. Mais c’est parce que Richelieu a
voulu, il y a presque 400 ans, une institution qui formaliserait la
langue, la contrôlerait et bâtirait un dictionnaire, que cette langue s’est installée comme un modèle et une référence. Un siècle plus
tard, au XVIII
e siècle, tous ceux qui s’intéressaient en Europe à
l’esthétique, à la culture, au savoir, à la philosophie, aux idées et à la
pensée s’exprimaient en français.
Quand l’Europe parlait français – tel
est le titre d’un livre de Marc Fumaroli, un de mes confrères sous la
Coupole –, l’Europe pensait aussi français, et jusque dans les détails.
Jusqu’à la fin du XIX
e siècle, à la cour de Russie, on écrivait les menus
en français parce qu’on n’imaginait pas qu’une autre langue puisse
exprimer cette excellence qu’est la gastronomie. Défendre la langue,
c’est donc respecter ce passé commun, cette culture collective et
donner un exemple de résistance à la facilité. C’est ce que fait
Défense de la langue française, en particulier Françoise de Oliveira,
Dominique Vadet, Guillemette Mouren et leur équipe, que je salue
ici, en organisant ce concours dynamique.
Les enjeux sont simples et clairs. Il s’agit de faire en sorte que la
langue ne soit pas affadie, malaxée, détruite, comme elle l’est trop
souvent, à l’oral en tout cas. Il s’agit aussi de faire en sorte que l’accès
à l’information ne suppose pas le mépris de la langue, que l’invasion
anarchique de mots étrangers se fasse de manière raisonnable. Voyez
nos amis québécois : ils acceptent les mots étrangers mais savent les
assimiler à leurs structures, à leur syntaxe et à leur lexique, de façon
constructive et inventive.
Il s’agit enfin de faire en sorte que le français, confronté sans arrêt
aux innovations de la vie moderne, puisse participer à cet
enrichissement, à ce renouveau, sans perdre son âme.
Ainsi, chères collégiennes, chers collégiens, vous formez une grande
académie française répartie dans le monde entier. Grâce à notre revue,
votre témoignage pourra être diffusé, et votre mode de reconnaissance,
ce que vous devez à la langue française, sera mieux connu.
Permettez-moi ici une pieuse parenthèse. Mon prédécesseur à la
présidence de DLF, Philippe Beaussant, académicien lui aussi,
disparu il y a peu de temps, a vécu avec discrétion et modestie, alors
que c’était un esprit d’une immense culture, d’une très grande bonté,
d’un très grand dévouement à tous. Il pouvait parler de musique de manière merveilleuse et a fait renaître en France la musique baroque.
C’est parce que Philippe Beaussant m’avait demandé : «
Je suis bien
fatigué maintenant, est-ce que tu ne voudrais pas me remplacer ? » que je
suis ici avec vous, et heureux de l’être. Ayons une pensée pour lui.
Une dernière chose. Ne croyez pas que le combat de la langue
française soit un combat solitaire ou un combat rétrograde, voire
réactionnaire. C’est un combat que mènent toutes les langues
structurées et les langues de culture. Parlez avec des Anglais
s’exprimant dans la langue d’Oxford, et vous verrez qu’ils ont les
mêmes problèmes que nous. Nos ennemis communs sont l’absence
de syntaxe, le discontinu, la rapidité, les mots trop courts, la forme
brève, tout ce qui s’exprime par internet, par SMS, par Facebook et
par tout mode de communication limité à un petit nombre de
syllabes. Nous sommes tous confrontés à cette communication en
espace restreint qui empêche la langue de s’épanouir, de se
construire, d’organiser une syntaxe, de manifester le fonctionnement
d’une pensée, d’une démonstration, d’une argumentation, d’une
raison. Notre lutte est une lutte commune. Ce n’est pas une résistance
de la langue française seule contre ceux qui la parleraient mal, c’est
une résistance de ceux qui aiment les langues, les langues de culture,
tels le russe, l’anglais, l’italien, l’espagnol, le portugais, que sais-je...,
et qui, toutes, sont confrontées aux risques de compactage et de
réduction imposés par les modes de communication modernes.
En défendant la langue française, vous ménagez ce trésor qu’est notre
propre langue, une langue estimée et admirée dans le monde entier,
et vous contribuez, comme tous ceux qui aiment les langues, à éviter
que la pensée, l’intelligence et la culture se réduisent et s’amenuisent,
donc s’affaiblissent.
Nos félicitations se mêlent donc de gratitude : bravo et merci à vous
tous !
Xavier Darcos
de l’Académie française
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