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FRANCOPHONIE Les conséquences du protocole de Londres
Brevet européen, le français à la casse ?

Le Figaro le vendredi 27 décembre 2002
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Par Michel EVRARD : Avocat à la cour ; secrétaire général de la Cour d'arbitrage franco-belge et luxembourgeoise.

Des travaux parlementaires sont en cours sur une éventuelle ratification de la France d'un protocole (dit de Londres) modifiant le régime linguistique de la Convention sur le brevet européen. Si ce protocole était ratifié, le français, une fois de plus, serait sacrifié.
Qu'en est-il exactement ? Selon le régime actuel, le brevet européen n'a d'effet dans un pays que si, à la délivrance, il est traduit dans une langue officielle du pays concerné. Et les coûts de traduction sont, très logiquement, supportés par le propriétaire du brevet. C'est ainsi qu'en France, aujourd'hui, les brevets européens, s'ils ne sont pas rédigés en français, doivent être traduits dans notre langue. Ces traductions peuvent être fournies à l'institut national de la propriété industrielle (Inpi) directement par le propriétaire du brevet ou par l'intermédiaire d'un mandataire. Une brochure (1) mise récemment à la disposition des utilisateurs par l'Inpi précise, sous le titre Le Brevet, instrument de la veille technologique, que « 80% de l'information scientifique et technique est contenue dans le brevet ». C'est dire son importance essentielle. Encore faut-il qu'il soit compris !
Près de 100 000 brevets européens rédigés en anglais et en allemand sont délivrés chaque année. Grâce à l'obligation actuelle de traduction les entreprises françaises, et spécialement les PME, peuvent en comprendre le contenu intégral et en tenir compte dans leur stratégie de recherche-développement. Pourquoi veut-on modifier le régime linguistique du brevet européen ? Tout simplement pour céder à la pression de sociétés multinationales qui souhaitent réduire les coûts d'obtention de leurs brevets, en supprimant les exigences de traduction en Europe.
On a fait valoir que le système européen des brevets était beaucoup plus coûteux que celui du brevet américain. Ce n'est pas en tout cas l'opinion exprimée par la revue anglo-saxonne ( !) The Economist du 14 septembre 2002, qui affirme, bien au contraire, que « le brevet américain est le plus cher du monde... »
La question du coût des brevets est complexe et doit relativisée. En tout état de cause, il serait proprement aberrant de faire supporter par les entreprises françaises (ou par les contribuables !) les frais de traduction des brevets européens non francophones, alors que l'information technique qu'ils contiennent est essentielle.
N'est-il pas déraisonnable de penser que toutes les entreprises seraient capables de décrypter l'enseignement d'un brevet rédigé en anglais (70 % de brevets européens) ou en allemand (plus de 20 %) ?
Si les traductions en français des brevets européens n'étaient plus exigées, les grandes entreprises étrangères, américaines et japonaises en particulier, profiteraient de l'aubaine, sans aucune contrepartie pour les entreprises françaises qui comme par le passé, resteront soumises à la réglementation linguistique spécifique de ces pays.
Le gouvernement français précédent avait pris les initiatives qui ont abouti au Protocole de Londres et, après beaucoup d'hésitation, l'avait signé. Nos voisins espagnols, italiens et belges ont pris la décision de ne pas le signer, car il veulent défendre leur langue et leur économie.
Le président Chirac est un ardent défenseur de la francophonie et a fait entendre avec succès la voix de la France au dernier sommet de Beyrouth. Comment pourrait-il approuver des projets législatifs qui auraient pour résultat l'abandon pur et simple du français pour plus de 90 % des brevets européens délivrés.
Les brevets représentent un enjeu économique et même une « arme économique » (brochure Inpi). Leur importance a été soulignée à Johannesburg où, là encore, M. Chirac a défendu des positions équilibrées. N'en doutons pas, la réforme linguistique du brevet européen se ferait au détriment de notre culture technique, juridique et économique. La francophonie n'est pas seulement l'affaire des académiciens, elles a aussi une incidence économique.
Je demande donc très respectueusement au chef de l'État de peser de toute son autorité pour que le système « abracadabrantesque » du protocole de Londres ne soit pas ratifié par la France.
(1) Le Brevet : protéger son invention (Inpl).

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