Défense de la langue française   
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La musique, langue de l’Europe
La musique a toujours créé des liens entre les hommes. Mais elle a rarement eu un rôle aussi important qu’au XIXe siècle en Europe. De Séville à Saint-Pétersbourg en passant par Vienne et Paris, il y a eu un échange permanent entre tous les musiciens européens, compositeurs, chanteurs, instrumentistes : ils ont vécu cette époque comme les membres d’une même famille.
Plusieurs personnalités ont participé à ce mouvement. On pense à Liszt qui a sillonné l’Europe avec sa musique et celle de ceux qu’il admirait, mais personne ne l’a davantage incarné que Pauline Viardot qui est encore célébrée dans toute l’Europe bien que, paradoxalement, elle soit quasiment inconnue en France.

De famille andalouse, née à Paris en 1821, elle était la fille de Manuel Garcia, le ténor de Rossini – c’est lui qui a créé Almaviva – et la soeur de la Malibran, qui fut la plus grande diva du début du siècle avant de mourir jeune à Londres des suites d’une chute de cheval. Pauline Viardot fut d’abord pianiste, brillante élève de Liszt qui l’appelait « l’archi-musicienne », elle a joué avec Chopin, à Paris et à Nohant, et a même transcrit ses mazurkas en mélodies.
Après la mort de sa soeur, elle se mit au chant et ce fut la plus grande cantatrice de l’époque. Elle avait un registre extraordinairement étendu, depuis les graves les plus profonds jusqu’aux coloratures. D’une présence et d’une intensité exceptionnelles, c’était une comédienne-née.
Elle épouse Louis Viardot, directeur de théâtre, collectionneur et ardent républicain, et commence une longue carrière dans toute l’Europe. Célébrée et adulée en Allemagne, en Angleterre, en Russie où elle rencontre Yvan Tourgueniev qui va lui consacrer sa vie, elle est en France à la fois victime de querelles parisiennes mesquines parfois liées aux activités de son mari, mais reconnue de tous les artistes et écrivains que les Viardot reçoivent sans discontinuer.
Opposés au Second Empire, Pauline et Louis Viardot s’exilent et s’installent à Baden-Baden, dont ils vont faire une vraie capitale culturelle. Toute l’Europe vient les voir, les souverains, les écrivains, les musiciens, c’est la concrétisation d’une culture européenne qui se reconnaît comme telle. Dans cette unité qui se crée, la musique est centrale. Et tous les musiciens vont y participer, Brahms, Wagner, Berlioz, Bizet, Massenet, Meyerbeer, les Schumann, Robert et Clara – qui fut une de ses grandes amies –, Liszt, Tchaïkovski, Verdi, et plus tard Gounod, Saint-Saëns, Fauré. Tous le diront : le lien entre eux, c’est Pauline Viardot. Par sa présence et son action, elle a animé cet échange permanent et merveilleux qu’a connu le monde de la musique à ce moment-là et elle y a intégré des artistes comme Delacroix et Ary Scheffer et des écrivains : Hugo, Tourgueniev bien sûr, Dickens, Zola, Flaubert qui lui envoyait pour relecture les chapitres de L’Éducation sentimentale, et George Sand qui a transposé Pauline Viardot dans son roman Consuelo.

Elle fut un trait d’union extraordinaire entre les pays – elle a convaincu Glinka et Rimski-Korsakov de faire le voyage en Espagne dont ils ont rapporté des oeuvres magnifiques – mais également entre les époques : à quatre ans, elle a connu Da Ponte à New York quand son père a organisé la première tournée de Don Giovanni en Amérique, et à la fin de sa vie elle encourageait Stravinski à donner son Sacre du printemps. Elle a vendu sa collection de bijoux, y compris ceux donnés par les tsars, pour acquérir le manuscrit du Don Giovanni de Mozart qu’elle a légué à la France. Enfin, elle fut une grande compositrice, nous laissant plusieurs centaines d’oeuvres, et une exceptionnelle pédagogue – sa méthode est toujours enseignée – ainsi qu’une ardente féministe.

C’est pour reconnaître son rôle majeur dans la construction de l’Europe de la culture que l’Institut de France, en association avec le Centre européen de musique, a décidé dans le cadre des commémorations nationales de faire de l’année de son bicentenaire une année Pauline Viardot. Xavier Darcos, chancelier de l’Institut, et Jorge Chaminé, président du Centre européen de musique, ont lancé ensemble cet hommage qui donnera lieu à de nombreuses manifestations1.

Ce thème de l’Europe culturelle est important à bien des égards. La culture est sans doute, avec la géographie, une des composantes majeures de notre communauté européenne, et nous devons être reconnaissants à ceux qui nous ont montré la voie.

C’est dans ce même esprit qu’autour de Jorge Chaminé nous avons lancé le grand projet de Centre européen de musique qui va être construit à Bougival dans un cadre exceptionnel qui regroupe la villa Viardot, la maison de Bizet et la datcha de Tourgueniev. Ce projet2 comportera l’académie Pauline-Viardot, qui sera un haut lieu de formation pour les musiciens de toute l’Europe, l’auditorium Georges-Bizet qui rappellera que c’est à Bougival qu’il a écrit Carmen, et l’agora Yehudi-Menuhin qui sera un conservatoire du patrimoine musical. Il y aura également un laboratoire de recherche sur « Musique et Cerveau » et une maison intergénérationnelle qui sera à la fois une maison de retraite pour musiciens et une résidence universitaire pour les étudiants.
Ce grand projet, appuyé par la Commission européenne et l’État français, se met en place pour une ouverture en 2024.
Ce sera la reconnaissance que la musique est une des langues de l’Europe.
Hervé Mouren

1.https://www.institutdefrance.fr/wp-content/uploads/2021/04/04_DP_VIARDOT-compressed.pdf, complété par un film : ICI (je vous recommande Felicity Lott).
2. Toutes les informations sont sur le site www.cemusique.org.

Vers le tout-anglais
Intéressante, cette affaire de la nouvelle carte d’identité bilingue [voir « Tableau d’horreurs ]. On est en droit de se demander s’il était urgent et indispensable de mentionner « name » à côté de « nom », et s’il était bien avisé d’en faire l’annonce au moment de la Semaine de la langue française et de la Francophonie. Passons. Les défenseurs du français y ont vu un symbole, ou un nouveau symptôme, du « toutanglais en Europe » que l’on prétend, disent-ils, nous imposer, et qu’ils combattent.
Ils ont raison. Il n’est pas admissible que la langue anglo-américaine, après avoir infiltré le commerce, la télévision, les loisirs, colonise nos entreprises, notre enseignement supérieur, nos ministères dans certains cas. Cette carte d’identité bilingue, à proportion même de son caractère ridicule, paraît témoigner d’une volonté politique, ce qui est assurément inquiétant. Cela posé, est-il malséant de s’interroger sur la nature du phénomène, et sur la meilleure façon de se battre ?
Certes, depuis le Brexit, l’anglais n’est plus la langue maternelle que de 2 % des citoyens de l’Union. On peut donc contester le fait qu’il demeure la langue d’usage, imposée comme une évidence. Mais il n’en est pas moins vrai qu’elle est la deuxième langue de près de 40 % des mêmes citoyens, et celle qui s’impose en tête dans les rapports de l’Union avec le reste du monde. On peut le déplorer (et se souvenir que le français et l’espagnol, à cet égard, ont encore de beaux jours devant eux), mais c’est un fait dont on voit mal comment il serait réversible. Le philosophe et économiste Philip Van Parijs1, qui se dit favorable, de façon contrôlée, à cette nouvelle lingua franca, rappelle un mécanisme de base : dans tout collectif comportant plusieurs nationalités, on ne choisira pas la langue du groupe le plus nombreux, mais celle susceptible d’être comprise par le plus grand nombre de participants. En l’état actuel des choses, il faut s’y faire, ce sera le plus souvent l’anglais.
Un autre fait indubitable, c’est que l’anglais international est aussi la deuxième langue des plus diplômés, c’est-à-dire ceux qui accèdent ou accéderont aux commandes en tous domaines. D’aucuns pointent du doigt une soumission générale aux « élites mondialisées du capitalisme ». Ils ne manquent pas d’arguments, mais il n’est pas difficile de constater que la jeunesse de nos grandes écoles, nolens volens, se jette dans le mouvement sans complexe.
(Si l’on voulait ironiser, on rappellerait que « nos ancêtres les Gaulois », en deux ou trois siècles, abandonnèrent leur langue au profit de la langue des vainqueurs ; et que de ce latin mal appris, mal prononcé par des gosiers ignares, est sortie la langue de Montaigne. Voire que les premiers évangélistes s’empressèrent d’écrire en grec, qui était en leur temps la langue des « élites dominantes ». C’est même comme ça que le message de Jésus nous est parvenu... Mais cela nous entraînerait trop loin.)
Alors, faut-il baisser les bras ? Certes non. Mais une bataille perçue comme celle « du français contre l’anglais » serait, je crois, une bataille perdue d’avance, si elle ne l’a pas déjà été. Plus précisément (et les associations qui se consacrent à ce problème le savent pertinemment), la ligne de front n’est pas là. C’est malheureusement ce qui est le plus difficile à faire entendre. La ligne de front, c’est celle qui oppose deux conceptions de ce qu’est une langue : celle qui en intègre la valeur « verticale » (la valeur culturelle, la valeur de bien commun), et celle qui n’en voit que la dimension « horizontale », véhiculaire et utilitaire. Le premier combat pour le français, c’est de veiller à ce que tous les jeunes Français aient fréquenté, lu, appris La Fontaine, Racine ou Rimbaud. Et tous les jeunes Allemands, Hölderlin ou Goethe. Etc. Et que tous aient reçu au moins une initiation aux langues anciennes. Après tout, parler français, c’est en grande partie parler latin... Il ne s’agit pas de faire de tous des érudits lettrés. Il s’agit de leur donner à sentir d’où ils viennent, et la profondeur de l’héritage.
Et cela doit être transposé dans l’apprentissage des langues étrangères. Il ne devrait pas être possible d’étudier l’anglais pendant sept ans (comme cela fut mon cas il y a déjà longtemps) sans avoir au moins quelquefois mis le nez dans Yeats ou Shakespeare. Ou l’espagnol sans rien savoir de Quevedo et de Lorca. Ce qui rend précieuse l’étude d’une langue, c’est précisément ce qu’elle a d’autre, d’étranger. Même la nôtre nous est parfois quelque peu étrangère, dans certaines de ses formes. Le médiéviste et académicien Michel Zink a récemment publié un essai intitulé On lit mieux dans une langue qu’on sait mal2. La formule est paradoxale, malicieuse même, mais profonde. « Celui qui lit dans une langue étrangère, écrit Zink, se fait une force de sa faiblesse. Il lit avec plus d’attention que dans sa langue maternelle. Il s’arrête à un mot, à une tournure, à un trait de moeurs. Il se demande si telle expression qui le frappe est courante ou recherchée. [...] Frayer un chemin à l’expression de la pensée dans la jungle d’une langue étrangère est un excitant de l’esprit. »
Voilà la dimension linguistique que l’on doit défendre – plus perceptible sans doute dans la poésie que dans toutes les autres formes d’écrit : celle de l’épaisseur, de l’allusion, de la nuance, de la finesse, de la référence, de la singularité ; peut-être même de l’impalpable. Aucune langue humaine ne peut être mesurée à l’aune seule de l’efficacité pratique ; aucune langue humaine ne peut être assimilée à un tapis roulant d’aéroport. La langue anglaise non plus, d’ailleurs.
François Taillandier

1. Linguistic Justice for Europe and for the World (Oxford University Press, 2011).
2. Les Belles-Lettres, 2021.

De la vache au vaccin

Vous aurez reconnu le jeu de mots, puisque « vaccin » et « vache » sont apparentés : le premier a été tiré de vaccine, du latin médiéval variola vaccina, « variole de la vache ».
Le 14 mai 1796, le docteur Edward Jenner inocula à un garçon de huit ans l’exsudat de la vaccine d’une trayeuse, pour le protéger contre la variole, et son cobaye eut de la fièvre, mais ne tomba pas malade : il était vacciné. Jenner avait donc inventé la vaccination et mérita le titre de « père de l’immunologie ». De la vache au vaccin Les premières vaccinations en France eurent lieu en 1800, et le mot vaccin apparaît en 1801 dans une revue, comme « substance organique propre à créer une réaction immunitaire contre la variole ».
On ne le retrouve pas encore dans la 5e édition du Dictionnaire de l’Académie ! En revanche, en 1835 il le définit : « Matière tirée de certaines pustules qui se forment au pis des vaches, ou de celles qui sont produites par la vaccination. » Un exemple très contemporain est donné : « De bon vaccin »...
Aujourd’hui, onze vaccins sont obligatoires en France. Il en faut en outre pour certains voyages, et dont les noms sont assez clairs, sauf celui de la fièvre jaune, « antiamaril » – parce que amaril qualifie le virus, comme il a qualifié le typhus, synonyme, de l’espagnol amarillo, « jaune ».

« Vous avez dit “vaccination” ? Oh, la vache ! » protestent certains. Ils sont affectés de... bélonéphobie ! C’est la « peur des aiguilles ». Du grec belonê, « aiguille », le Dictionnaire culturel d’Alain Rey le qualifie de « rare ».
Il le date « 1907, Larousse », mais sous réserves.
Certes, il n’a pas fait florès ! On le trouve toutefois dans le Grand Robert et sur certains sites, et avec cet exemple fort curieux : « Elle [une brochure] traitait de [...] la bélénophobie ou peur des épingles (Bourget, Physiol. amour mod., 1890). » Texte bien antérieur à 1907, mais sous une forme erronée...
Jacques Groleau
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