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Les mots en famille
Le chant du « signe » !
Si vous venez dans la région, faites-moi
signe !
Bons ou mauvais, les
signes occupent notre quotidien... Nos rêves sont
parfois des
signes prémonitoires. Le dérèglement climatique est le
signe
des temps. Nous sommes inquiets quand un ami ne nous donne plus
signe de vie...
Nous sommes attentifs à notre
signe astral, le fisc est, lui, attentif à nos
signes extérieurs de richesse, nous sommes parfois angoissés face aux
signes de la maladie, mais il reste toujours un
signe d’espoir.
Décidément, nous vivons entourés par la
langue des signes !
Cette liste est loin d’être exhaustive. Un religieux ferait un
signe de
croix. Ici, nous mettrons provisoirement un point final à cette
énumération, ce qui est un
signe de ponctuation !
Mais il est temps de nous renseigner sur l’origine de ce mot ! Certains
linguistes voient, dans le latin
signum, une extension de la racine
*sekque
l’on retrouve dans le latin
secare, « couper », d’où dérivent entre
autres les mots
sécateur, section, segment, etc. Un signe serait donc
d’abord une incision.
Ce qui plaide en faveur de ce choix sémantique c’est le fait que
signum, puis le diminutif
sigillum désignaient en latin une « statuette »,
puis une « petite image », un
« dessin ». Le premier sens de
« sculpture » évoque bien l’idée d’incision dans le bois ou la pierre.
Le
signe peut être
distinctif, il devient alors un
signe de reconnaissance,
un
signe de ralliement.
Dans l’armée romaine,
l’enseigne permettait de distinguer les légions.
Nous avons le
porte-enseigne, forme vieillie pour le
porte-drapeau d’un régiment. Quant à la Marine,
elle a son
enseigne de vaisseau. Les civils porteront
un
insigne, ce qui est loin d’être
insignifiant,
puisqu’il s’agit d’un
signe de dignité.
Signe a pour doublet sémantique
seing. En son
temps Tartuffe aurait pu dire : « Couvrez ce
seing
que je ne saurais voir ! » Le mot est resté chez les notaires à la place
du mot
signature pour désigner un acte sous
seing privé à moins que la
confiance ne conduise au
blanc-seing.
Quant au diminutif
sigillum, il nous a donné la
sigillographie, la
« science des sceaux ».
Seing,
sceau et
signature sont donc issus de la même racine. Leur sort
est ainsi
scellé !
L’évolution sémantique est intéressante. Du sens de
sigillum, « petite
image », on est passé à celui de
sceau. Chaque cachet de cire a en
effet sa
signification qui le distingue d’un autre par son
image sigillaire.
Le sceau servant à cacheter une lettre, on comprend mieux
maintenant le sens du verbe
sceller qui veut dire « cacheter » et qui a
pris aussi le sens de « fermer » dans l’expression
mettre les scellés, à la
suite d’une décision de justice.
L’étymologie nous invite donc à garder cette information sous le
sceau du secret.
On notera au passage que le mot
sceau en raison de son origine ne
devrait pas avoir de
c. Cette lettre a été rajoutée au XIII
e siècle pour
éviter la confusion avec
seau.
Tout serait-il dit ? Que nenni ! J’arrête donc à
dessein mon propos !
Avant d’apposer ma
signature au bas de cet article, je vous invite à
poursuivre cette lecture dans notre prochain numéro...
Philippe Le Pape
Délégation de Touraine
Barbarismes à la mode
« Digital » : petite histoire d’un gros anglicisme idiot
Il existe plusieurs types d’anglicismes. Au moins trois : le
provisoirement utile, le complètement inutile, le stupide. Pour le
premier, tout le monde comprend qu’une découverte, un concept
nouveau, anglophone de naissance, s’invite dans une autre langue en
attendant que celle-ci en ait formulé l’équivalent selon ses propres
lois. Un problème se pose en France : la lenteur à réagir, due au fait
que le plus souvent c’est à une commission officielle, sans prise sur la
vie pratique, économique, scientifique, industrielle, qu’il incombe de
procéder à la naturalisation du terme anglais. Elle se borne à émettre
des recommandations que personne ne suit ni d’ailleurs ne connaît, à
part quelques maniaques, tel l’auteur de ces lignes. Il fut un temps
– l’heureux temps de la « redingote », et même bien après – où la
francisation des mots d’origine étrangère s’opérait spontanément
dans la langue courante, sans qu’il fût besoin d’officine ad hoc :
peut-être la population était-elle pourvue de neurones plus actifs, plus
inventifs ? Était-elle moins sollicitée ? Plus assurée de sa force ? Quoi
qu’il en fût, elle était moins paresseusement encline à s’allonger sous
le tonneau, bouche ouverte, pour avaler le coca-cola verbal et y
perdre sa langue, comme la perdirent ses ancêtres gaulois sous les
amphores de vin romain.
L’anglicisme inutile est évidemment plus encombrant et ridicule que
l’anglicisme provisoire pérennisé contre lequel, au moins, on a essayé
de lutter. Il abonde dans le vocabulaire des écervelés − ils sont légion −
qui croient améliorer leur image, rehausser leur statut social ou
affrioler le chaland en parsemant leur discours de vocables à
consonance yanqui (dixit Étiemble) substitués aux mots français :
«
listing » pour
liste, «
show room » pour
salle d‘exposition, «
snacker »
une viande pour la
saisir... Mais il y a pire : l’anglicisme débile, le gros barbarisme aux pieds en
dedans ; celui qui, hoquetant
et bavant sur lui, «
burn out »
par exemple, vient
doublonner le mot indigène
(
surmenage) et par la même
occasion en éliminer trois ou
quatre autres ; il appauvrit le
vocabulaire, éparpille le sens,
abolit la nuance ou la
précision, parfois contredit
carrément la signification
française par une tout autre
histoire sémantique. Dans ce dernier cas entre l’aberrant «
digital »
qui résiste, s’accroche, prétend concurrencer son substitut français.
«
Digital », du latin
digitus, dans notre langue maternelle n’offre
qu’un sens : « relatif aux doigts ». L’empreinte digitale en fournit
l’exemple le plus fréquent. La mortelle et somptueuse digitale dresse
une hampe de corolles pourpres, allongées, pendantes, en forme de
doigtier. Un digitigrade n’est pas un thermomètre mais un animal
dont la démarche souple − le félin sur l’extrémité de ses pattes −
s’oppose à celle, pataude, du plantigrade. Le malheur vient de ce que
l’Anglais, peuple de marins buveurs de gin, n’ayant inventé ni le
boulier chinois ni la pascaline, a longtemps compté sur ses doigts. Il
continue d’ailleurs à mesurer ses pieds avec son pouce. C’est
pourquoi il a ajouté à
digital une acception seconde qui lui appartient
en propre et ne présente aucun point de contact avec notre digital
français : « relatif aux nombres ».
Il faut reconnaître ici que le buveur de gin et surtout son cousin
friand de chiens-chauds à la moutarde ont largement rattrapé au
XX
e siècle leur retard sur Pascal et sa machine à calculer. La maîtrise
de l’information transmise non plus par analogie mais par
numération a permis à la langue anglaise d’établir les bases d’un
vocabulaire avec lequel il a fallu compter, si j’ose dire. Et qu’il nous
fallait franciser. Dans les débuts, encore pleins de l’énergie des Trente Glorieuses nous avons métamorphosé
computer en
ordinateur
(aujourd’hui, avachis que nous sommes, dans la meilleure des
hypothèses nous opterions pour « computeur »),
software en
logiciel
et beaucoup d’autres instruments, affublés de noms barbares, en
syllabes tolérées par les tympans de La Fontaine et de Racine.
Parmi ces termes sauvages,
digital dans son acception angloricaine
offensait particulièrement notre idiome en ce qu’il prenait
l’apparence d’un mot de notre fonds sans en posséder l’âme, à
l’image des envahisseurs venus des étoiles qui, dans les films
d’épouvante, s’introduisent dans le corps des humains pour devenir
leur sosie. Avertis de ce projet mortifère, les informaticiens français
s’empressèrent de donner à l’abominable
digital, alien gluant tombé
de la planète anglophone, un équivalent convenable :
numérique. Seul
mot, avec ses dérivés, pour désigner en français tout objet qui se
rattache au codage informatique par les nombres.
Ainsi, chacun sait à présent que le franglais «
scanner » se dit
numériser.
Toutefois, une difficulté ici semble surgir : pour désigner l’accès
d’une entreprise aux outils numériques, on ne saurait employer
« numérisation », déjà affecté à l’opération susdite. On a donc, sans
vergogne, exhibé le calque de
digitalization : la
« digitalisation » d’une
entreprise, terme deux fois monstrueux et par sa bâtardise
sémantique et par sa complication disgracieuse. « Virtualisation »,
« dématérialisation » ont également été proposés. Mais pourquoi
diable ! pourquoi l’éternel Diafoirus veut-il toujours se gargariser, de
latin de cuisine autrefois, à présent d’anglais de kitchenette, ou
encore de ce jargon de cuistre, quand il serait si simple et tellement
plus élégant d’utiliser le lexique usuel ?
Passage au numérique devrait
suffire.
Michel Mourlet