Défense de la langue française   
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Que vivent nos langues !
Ils ont une langue et ne la parlent pas.
Ils ? Ces gens qui, persuadés d’être à la fois bilingues et modernes, usent et abusent de phrases creuses, d’expressions traduites ou tirées telles quelles d’un anglais lui-même approximatif. Si toutes les langues ne meurent pas, toutes sont frappées par ce mal... une ptose du langage, en quelque sorte.

L’ennui est qu’en réalité ils bazardent leur langue mais n’en possèdent pas d’autre : par conséquent ces gens-là ne parlent pas ; ils pérorent, ils laïussent, ils jabotent, mais ne disent rien.

Il faut beaucoup de temps et de travail pour atteindre un bon niveau d’anglais.

Hélas ! trop de cuistres l’ignorent et s’obstinent. Trois fois hélas ! ils ont colonisé les partis politiques, les postes importants, en particulier dans nos institutions européennes.

On a dit et redit que l’omniprésence de l’anglais donne de facto le pouvoir aux anglophones, européens ou pas. Les décisions concernant l’UE sont ainsi sous influence à tous les niveaux sans que les principaux intéressés puissent s’informer, en contradiction avec les principes démocratiques.
D’aucuns parlent même d’ « impérialisme linguistique », élément d’un impérialisme culturel et économique.

On a moins insisté sur l’autre conséquence néfaste de cette omniprésence de l’anglais, ou plutôt d’un jargon pseudo-anglais. Si l’anglais imposé à tous conditionne la façon d’être au monde des Européens, il faut que nous comprenions, ce qui est plus grave encore, que ce mauvais anglais affaiblit nos cerveaux.

Nombre de directives, études, professions de foi sont écrites aujourd’hui dans un anglais « basique » quelle que soit la langue première des auteurs, lesquels, devenus incapables de bien s’exprimer dans leur propre langue qu’ils ne maîtrisent plus, dissimulent leur impéritie sous un anglais approximatif.

Alors oui, bien sûr, l’Europe doit impérativement (re)devenir multilingue, l’UE doit retrouver ses racines et son union dans la diversité, se débarrasser de ce type d’orientations idéologiques simplistes et réductrices dont la plupart de ses citoyens se méfient. Si le multilinguisme ne prend pas, l’Europe restera plus ou moins à la traîne des grandes puissances, il faut que l’Union se réveille.

Et si, pour parvenir enfin à une réelle diversité des langues de l’Europe, à une renaissance de la culture et des idées, on mettait dans chaque pays l’accent sur l’apprentissage de la langue maternelle ? En France, tous les enseignants se lamentent sur le niveau de français de leurs élèves, y compris dans l’enseignement supérieur. Il en est de même dans la plupart des pays. On se comprend mieux entre locuteurs de langues différentes quand chacun connaît bien la sienne. Ce qui faciliterait l’intercompréhension.

Avant de prétendre maîtriser une deuxième, voire plusieurs langues, il faut bien connaître la nôtre et ne pas laisser une minorité d’idéologues la dénaturer. Nous serons plus forts pour communiquer et pour élaborer des idées et une pensée cohérente. Commençons par le commencement : au commencement, il y a le Verbe... et la langue maternelle.

Véronique Likforman
Délégation DLF Bruxelles-Europe

« Made for sharing »

À l’occasion de la cérémonie de clôture le 8 août 2021, Tokyo a passé le relais à Paris en vue des Jeux olympiques de 2024. Les Jeux de Tokyo 2020, tenus en 2021 à la suite du report d’un an en raison de la pandémie de COVID-19, ont eu lieu dans des circonstances sans précédent. Il est à espérer que l’édition de 2024 se déroulera dans un monde libéré des contraintes imposées par ce fléau et que le comité d’organisation réussira à accomplir sa vision d’une « célébration fraternelle et universelle, le rendez-vous de tout un pays avec le monde entier1 ».

Il est également à espérer que, lorsque les yeux du monde seront braqués sur Paris, ils ne verront pas le slogan barbare, « Made for sharing », qui avait été adopté en 2017 par le comité comme slogan officiel de la candidature de Paris et qui est encore un exemple de l’anglomanie des élites françaises, exemple qui illustre comment la France peut se rendre ridicule lorsqu’elle cherche à imiter une culture qui n’est pas la sienne.

Ce slogan a été dévoilé le vendredi 3 février 2017 lors d’une projection géante sur la tour Eiffel. Deux semaines plus tard l’Académie française a publié un communiqué pour exprimer à l’unanimité « sa réprobation devant la décision du comité d’accorder la priorité à la langue anglaise pour porter la candidature olympique de la ville de Paris2 ». L’avis de l’Académie était soutenu par la plupart des Français, ce qui est démontré par un sondage publié le 26 février 2017 qui a révélé que 69 % des personnes interrogées avaient été choquées par le choix d’un slogan non francophone3. Mais ce n’est pas tout. L’emploi de ce slogan a sûrement déçu, voire mis en colère, tous les francophiles, quelle que soit leur nationalité, quelle que soit leur langue maternelle. Permettez-moi donc, cher lecteur, d’ajouter une petite perspective d’outre-Manche.

Quand j’ai entendu « Made for sharing » dans le contexte de Paris 2024, ma première pensée n’a été ni Paris ni les Jeux olympiques, mais plutôt « Green Triangle » ! Pourquoi ? Cela s’explique très facilement. Pour moi et pour beaucoup de mes compatriotes, l’emploi de ce slogan est étroitement lié à une campagne publicitaire pour les bonbons de la marque Quality Street. Green Triangle, chocolat au lait fourré de praliné en forme de triangle dont l’emballage est vert, est mon parfum préféré. Mais il faut souligner qu’en anglais l’emploi du mot « Made » amène l’auditeur ou le lecteur à penser tout naturellement à quelque chose qui a été fabriqué. Voilà pourquoi cela marche si bien dans la promotion de Quality Street. « Made » est le participe passé du verbe « to make » (fabriquer/faire), par exemple : Made in France, « Fabriqué en France » ; Handmade product, « Produit fait main ».

Lorsqu’on parle de quelque chose qui est ou a été « Made for sharing », un locuteur natif de l’anglais pense automatiquement à quelque chose qui a été fabriqué et qui est destiné à être partagé, tels des bonbons, des biscuits ou des pizzas. On ne peut pas dire que les Jeux olympiques sont ou ont été « made » : ils sont plutôt « organised », « organisés ». Et on ne peut pas prétendre qu’il s’agit de l’évènement dans son ensemble, si on considère que les Jeux olympiques sont plus qu’une fête du sport, parce qu’en anglais un évènement n’est pas « made » non plus !

Ajoutons en passant que si le verbe faire est utilisé souvent en français dans un contexte sportif, ce n’est pas le cas en anglais pour le verbe « to make » : faire du sport, « to play sport » ; faire de la natation, « to go swimming » ; faire de la gymnastique, « to do gymnastics ».

Le participe passé anglais « made » n’a aucun rôle à jouer dans la description ou la promotion du sport.

En ce qui concerne Paris 2024, qu’est-ce donc qui est ou a été « Made for sharing » ? L’anglais est ma langue maternelle, mais je trouve impossible de répondre à cette question parce qu’il s’agit simplement d’un slogan commercial sorti de son contexte et qui n’a aucun rapport avec l’évènement en question. Dans le contexte des Jeux olympiques cette expression n’a pas de sens. Quand mon épouse, qui est la gentillesse même et à qui il ne viendrait jamais à l’esprit de critiquer quoi que ce soit, a entendu pour la première fois le slogan de Paris 2024, elle s’est exclamée : « That is awful ! », « C’est affreux ! ». Elle a raison.

Le comité parisien avait prévu une version française de ce slogan : « Venez partager ». L’ironie est que, si la version française avait été adoptée comme slogan officiel, il aurait été très facile de trouver une traduction acceptable en anglais : « Come and share. » Ce n’est pas du Shakespeare, mais c’est infiniment supérieur à « Made for sharing ». La signification est parfaitement claire et le lien avec des publicités commerciales est rompu.

Le comité a expliqué avoir choisi l’anglais afin de « donner un caractère universel au projet français4 ». Pourtant, s’il est vrai qu’un quart de la population mondiale est plus ou moins capable de communiquer en anglais, il n’en est pas moins vrai que les trois autres quarts ne le sont pas5 ! S’adresser en anglais n’est pas la même chose qu’une communication universelle. D’ailleurs, depuis quand un « caractère universel » se réduit-il à une publicité commerciale ? « Venez partager » exprime nettement mieux la notion universelle de partage que « Made for sharing ».

Le slogan de candidature lancé en 2017 semble avoir disparu depuis que Paris s’est vu octroyer les XXXIIIes Jeux olympiques. Si cela veut dire que les membres du comité d’organisation ont appris leur leçon et qu’ils ne vont pas l’utiliser en 2024, tant mieux, parce qu’il faisait injure à la langue et à la culture françaises. Il faisait injure également à la mémoire du baron Pierre de Coubertin qui a fondé les Jeux olympiques modernes en 1894. Mais il faisait injure aussi à tous les francophiles du monde entier qui croient que la langue de Molière, Racine, Voltaire, Diderot, Flaubert, Hugo, Sartre, Camus (et j’en passe) mérite mieux qu’une soumission inquiétante devant la langue anglo-américaine et « les représentations mentales qu’elle sous-tend6 ».

Quand Michel Barnier s’est déclaré candidat à la primaire de la droite et du centre, il a affirmé vouloir être un président qui « respecte les Français et fait respecter la France7. » La réalité est que ce ne sera que le jour où ses élites recommenceront à respecter la culture française et la langue dans laquelle cette culture est exprimée que la France se fera respecter.
Donald Lillistone
1. https://www.paris2024.org/fr/vision/.
2. https://www.academie-francaise.fr/actualites/communique-sur-le-sloganretenu- par-le-comite-de-candidature-de-la-ville-de-paris-aux.
3. http://www.odoxa.fr/sondage/paris-2024-7-francais-10-choques-slogan-anglais/.
4. https://www.cnews.fr/sport/2017-02-03/jo-2024-que-signifie-made-sharing-leslogan- de-paris-2024-748144.
5. The English Language, de David Crystal (Penguin Books, London, 2002, p. 10).
6. Contre la pensée unique, de Claude Hagège (Odile Jacob, 2012, p. 69).
7. Le Figaro (26 août 2021).

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