Défense de la langue française   
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De l’épileur
Le poil est à l’honneur au musée des Arts décoratifs, du 5 avril au 17 septembre 2023. Il s’invite dans nos pages...

Un type au poil, c’est – familièrement et depuis 1915 – quelqu’un de très satisfaisant, avec l’idée de précision, renforcée dans « au petit poil » et « au quart de poil ».

Mais, pour le verbicruciste, « un type au poil », c’est EPILEUR.
Le verbe – sinon le substantif – nous est familier aujourd’hui, car il ne manque pas d’instituts de beauté ou d’esthétique, aux noms évocateurs ou simplement pittoresques (et pas forcément anglophones), pour nous proposer une épilation, qui sera réalisée, en effet, par un épileur, « personne qui épile », « dont la profession est d’épiler ».

C’est Wiktionary qui nous renseigne : « Les épileurs appartiennent à la catégorie professionnelle des esthéticiens, électrologistes et personnel assimilé. »

Mais les dictionnaires ne sont pas bavards sur ce terme – alors même que la profession était bien connue dans l’Antiquité !

Pas bavard, d’abord le Grand Dictionnaire encyclopédique, qui l’a purement et simplement oublié !

Et c’est Le Petit Larousse illustré qui évoque « les épileurs des thermes romains ».

Mais il n’est pas très bavard non plus : s’il connaissait dès 1905 ce « terme propre aux thermes », c’est seulement jusqu’en 1960 ! Il redécouvre en 1994 qu’existaient « les épileurs des thermes romains », mais c’est pour les oublier en ligne, sans doute par modernisme !

La Semeuse eût pu éviter cet oubli en suivant le Dictionnaire de l’Académie française. Si celui-ci enregistre le verbe dans la 4e édition (1762), il ignore le substantif, sauf dans le Complément de la 6e, en 1836, et ce jusqu’à la 9e édition aujourd’hui.
Et c’est là la véritable apparition de ce vocable, et non 1838 selon le Robert. C’est, dans l’Antiquité, « celui, celle qui épile ; dont la profession est d’épiler, soit dans les bains publics, soit chez les coiffeurs ».

René Char, poète surréaliste à l’humour volontiers hautain et discret, a écrit dans Le Marteau sans maître : « La poésie est pourrie d’épileurs de chenilles... »
Jacques Groleau

Vive l’accent circonflexe !

« Toujours au théâtre, jamais au cinéma ! », cette expression ne vous dit sans doute pas grand-chose, c’est pourtant une définition assez connue des cruciverbistes pour dénommer l’accent circonflexe dont il sera question ici.

L’accent circonflexe, comme les autres accents et l’apostrophe, n’est apparu dans notre langue qu’en 1529 par la grâce d’un éditeur, Geoffroy Tory, qui opta pour une typographie en caractères romains et, s’apercevant que ceux-ci ne pouvaient pas rendre complètement la phonétique française ni quelques points de grammaire propres à notre langue, décida d’ajouter des signes appelés « diacritiques » pour différencier certains mots dont le sens était différent : c’est bien le cas avec l’accent circonflexe puisque, par exemple, on distingue ainsi jeune (e ouvert) et jeûne (e fermé), ou encore pour en faire apparaître l’étymologie, comme dans fenêtre (fenestra en latin), âne (asne en ancien français et asinus en latin), ou ôter (oster en ancien français et obstare en latin)… ; notons que l’accent circonflexe peut également servir à distinguer l’indicatif du subjonctif dans la conjugaison de certains verbes comme l’auxiliaire être : « il continua de se comporter comme un voyou après qu’il fut libéré » ou « il continua de se comporter comme un voyou bien qu’il fût libéré ».

C’est également à ce Geoffroy Tory que nous devons le mot orthographe et ce n’est pas un hasard car son but était aussi de normaliser l’écriture pour stabiliser la langue. Mais où le dénommé Geoffroy Tory trouva-t-il ces signes diacritiques ? Le philosophe Michel Serres nous en donne la réponse dans son livre Défense et illustration de la langue française aujourd’hui (éditions France Info) : « Le fait de mettre des paroles sur la musique indique probablement l’origine du langage. Le langage est certainement venu de la musique. “Accent aigu”, “accent grave”, “accent circonflexe” sont, à l’origine, des notations musicales. Je démontre dans Musique que non seulement celleci est universelle, mais qu’elle est originaire. Nous avons chanté avant de parler ! » L’accent circonflexe, tout comme les autres accents, participe donc également à la musicalité de notre langue puisqu’on ne prononce pas de la même manière cote (o ouvert) ou côte (o fermé), ce que malheureusement trop de gens escamotent aujourd’hui.

Malgré cela, rappelons qu’en 1990 le Conseil supérieur de la langue française décida de rendre facultatif l’emploi de l’accent circonflexe sur la majorité des i et des u, sauf, évidemment, pour ceux qui sont porteurs de sens comme sur, « aigre », et sûr, « certain » : on peut donc désormais écrire une ile au lieu d’une île, laquelle en perd ainsi son palmier ! Quelle tristesse !

Et si l’on veut compléter cet hommage à l’accent circonflexe, un seul vocable suffira grâce à cet autre terme qui le désigne régulièrement aussi dans les mots croisés :
Chapeau !
Alain Sulmon
Délégation du Gard
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