Défense de la langue française   
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DLF, n° 282


DICTIONNAIRE DE LA VIE À LA CAMPAGNE de Jean-Paul Colin, préface de Jean Pruvost
Honoré Champion, « Champion les dictionnaires », 2021, 416 pages, 20,90 €
Qu’est-ce que LA campagne ? Le « cher pays de notre enfance », le monde de demain revu et corrigé ? Pour le citadin, c’est souvent une planète inconnue que ce dictionnaire très documenté vient opportunément instruire.
Dans son avant-propos, l’auteur nous rappelle la diminution drastique du nombre de paysans soumis à une technologie envahissante, « quasi inhumaine » ; sans concession, le Salon de l’agriculture est défini par un quotidien régional comme une « grand-messe qui n’est possible que par l’incessant travail d’une armée de l’ombre ». Est évoqué aussi le suicide d’une agricultrice, le contexte est bien connu et la littérature ne fait rien pour l’adoucir. Dans Les Vies minuscules, Pierre Michon raconte en personne le monde rural, dur et impitoyable : « L’arrière-campagne l’avait des pieds à la tête oint de son huile épaisse ; le temps l’avait empaysanné. » Aujourd’hui les mouvements de retour à la terre (ou plutôt de fuite des grands centres urbains) s’accompagnent d’anxiété écologique. Pour Sylvain Tesson, dans sa Géographie de l’instant, « la Nature est assignée à tenir son rôle d’environnement...». Pour autant, sommes-nous définitivement séparés des modes de vie de nos ancêtres ? La vertu de l’ouvrage de Jean-Paul Colin, c’est de nous offrir une mémoire heureuse, celle des traditions du terroir (mot totalement différent des actuels territoires !), des patois en voie de disparition, des savoir-faire oubliés ; quelques planches illustrées nous rappellent que Diderot et d’Alembert consacrèrent plusieurs pages de l’Encyclopédie à l’art du jardinage (passion qui traverse les siècles), à la description minutieuse d’un potager et d’une scène d’apiculture intitulée « Économie rustique » ! Il est certain que les néoruraux retrouveront ici de A à Z leur « petite madeleine », comme les y incitent déjà les Bretonnes de Paul Gauguin dans Les Meules jaunes sur la couverture. Monika Romani

« RAYMOND QUENEAU 2.0 » EXERCICES DE SWAG... de Léopold Julia
Éditions de l’Opportun, 2021, 314 pages, 15,90 €
À l’origine des Exercices de style, l’Art de la Fugue de Bach : Raymond Queneau raconta comment, ayant écouté avec ravissement cette musique lors d’un concert, il eut le désir d’écrire « des variations proliférant presque à l’infini autour d’un thème assez mince ». Cette valorisation extrême de la langue, à la fois ingénieuse et humoristique, Léopold Julia la réitère aujourd’hui avec la même trame, une anecdote banale relatée sous 99 formes qui sont autant de clins d’oeil aux générations des dernières décennies. À l’aide d’un acrostiche puis d’un tétracrostiche, l’auteur rend hommage à son célèbre devancier, mais en même temps nous offre un anglicisme, le swag, lequel n’est en rien une invention globish ! Bien au contraire, il nous arrive tout droit du XVIe siècle, formulé par Shakespeare dans Le Songe d’une nuit d’été, pour désigner un personnage fanfaron qui bombe un peu trop le torse.
Depuis lors, le swag a voyagé, il se situe désormais dans la rubrique de ce qui est « branché » et remplace aisément le mot « style », ainsi que ses nombreuses figures. D’où l’obligation de le soumettre à toutes les trouvailles du français à la manière de l’Oulipo et des surréalistes, ses nobles ancêtres. Ainsi, par exemple, ce texte Inclusif, subtile adaptation du « Test de Turing » qui se contraint à utiliser des mots épicènes ; cette Petite annonce semblable à un message codé, un SMS particulièrement instructif, le haïku japonais dans les règles de l’art, etc. Et on n’a jamais fini de rire avec Coluche. C’est l’histoire d’un mec, de s’amuser au Millionnaire, et au Peu académique et pourquoi pas, lire Peppa Pig avec les enfants ! Monika Romani

L’ESPRIT DES MOTS. DICTIONNAIRE SUBJECTIF, PARCE QUE LES MOTS ONT UN SENS SINGULIER POUR CHACUN DE NOUS sous la direction d’Alain Bentolila, de Paule-Henriette Lévy et Brigitte Rozen
Éditions First, 2021, 424 pages, 19,95 €
Peut-on interpréter l’esprit des mots ? Certainement pas à l’aide d’un dictionnaire de langue « ordinaire » offrant des définitions censées obéir à des critères d’objectivité afin d’établir une communication entre les individus. Car c’est oublier que chaque vocable abrite le pouvoir de la pensée, il en est la quintessence. D’où la nécessité d’un « dictionnaire subjectif » (quel bel oxymore !) où chacun « apporte sa brique à la tour de Babel » pour fabriquer un « livre de paix et d’espoir » destiné à nos enfants.
Et, de fait, nombre d’entrées de cet ouvrage très singulier se réfèrent à des notions du vivre ensemble, l’Altérité, la Générosité, la Convivialité... Mais c’est le concept d’Appartenance, traité en lien avec l’Identité, qui donne le ton : ne considérer « aucune appartenance comme un ghetto identitaire ».
Les auteurs sont principalement issus de la société civile (où les linguistes se taillent la part du lion !), avocats, écrivains, professeurs, journalistes, philosophes aussi bien que médecins, psychanalystes, scientifiques, entrepreneurs... On remarque Brigitte Macron s’exprimant sur la Lecture, en droite ligne du thème de la subjectivité, puisque lire, c’est poser « un regard arbitraire » sur le livre. Et Édouard Philippe, analysant le Pouvoir à l’aune de la littérature, Les Trois Mousquetaires et Le Vicomte de Bragelonne, son panthéon personnel ! Et c’est une héroïne décapitée en 1793, Olympe de Gouges, dont « l’esprit » survit dans l’espérance que la démocratie finisse un jour par s’appliquer à toutes les femmes. Monika Romani

LA CRÉATION DES JEUX DE MOTS ET DES BONS MOTS de Richard Arcand
Presses de l’Université Laval (Québec), « À propos », 2021, 208 pages, 17,95 €
Bons mots et jeux de mots naissent toujours d’un déclic de l’esprit : ils viennent naturellement, spontanément, et bien souvent ils sont oubliés aussi rapidement de leur auteur que de leurs auditeurs. Certains demeurent parce qu’ils ont été prononcés par des personnages historiques ou dans des circonstances exceptionnelles favorables à leur création. Aussi l’ouvrage de Richard Arcand est-il fort intéressant, car il décrit les mécanismes de ces effets linguistiques, il collectionne et classe une quantité industrielle de ces mots d’auteur ; il distingue le jeu de mots du bon mot, le premier suppose le « travail » tandis que le second, également comique, utilise les mots sans qu’il soit nécessaire de jouer sur eux. Exemple : « Étant donné les absences de mémoire de certains hommes politiques, on se demande comment ils peuvent rédiger tant de mémoires » et « On s’aperçoit que l’on vieillit quand les bougies coûtent plus cher que le gâteau ». Les drôleries classées sont innombrables dans ce petit livre : pléonasmes ; évidences (ne jamais donner à boire à un noyé) ; fantaisies ; contrastes explicites (dans une soirée arrosée, plus les bouteilles se vident, plus le ton monte) ; retour de mots avec des sens différents (« Certains jouent aux échecs, d’autres les collectionnent » – Pierre Dac) ; redondances ; cause inattendue (« Moi, je fais deux régimes en même temps, parce qu’avec un seul je n’avais pas assez à manger » – Coluche) ; image incohérente (la grève de l’essence fait tache d’huile) ; choqué par la rapidité avec laquelle les vêpres furent chantées, un paroissien s’exclama : « C’est un véritable derby des psaumes ! (d’Epsom) ». De quoi rire et s’amuser en s’instruisant ! Jacques Dhaussy

LE MEILLEUR DES BONBONS SUR LA LANGUE de Muriel Gilbert, illustrations de Jean-Christophe Establet
La librairie Vuibert, 2021, 254 pages, 19,90 €
Encore un bonbon, le meilleur, mais lequel ? Car il est avec ou parmi d’autres aussi savoureux. Aucun ne risque de rendre le lecteur diabétique. Au contraire, cette friandise le débarrasse de toutes ses hésitations orthographiques, de ses doutes, et l’enrichissent de vitamines historiques incomparables. Ces chroniques sur la langue française constituent en souriant et même en riant une véritable thérapie. Illustrés de petits bonshommes aux réflexions diverses, souvent spirituelles, qui ressemblent à des petits-beurre écornés, cette centaine d’articles déclenchent le rire ou la curiosité. Ils sont bénéfiques, ils vous éclairent sur les mystères de l’usage et la curieuse origine du persistant accent aigu sur les deux « é » d’événement. Foin de linguistique ou de philologie ! Rien qu’une question d’approvisionnement d’imprimeur. Quel mode employer avec avant que et après que ? Et affaire de mémoire : comment se le rappeler et comment s’en souvenir ? Surtout, pour bien accorder le participe, abstenez-vous de dire « je ne me suis pas faite couper les cheveux », et ne fêtez pas « les un an » de votre bébé. En savourant tranquillement ces bonbons, lisez ces pages savoureuses, pleines de surprises, d’humour, d’histoire et d’antonomases. Jacques Dhaussy

        Signalons aussi :
  • LE PIÈGE DU TOUT-ANGLAIS EXPLIQUÉ AUX FRANÇAIS PAR UN ANGLAIS, de Donald Lillistone
    (Éditions Glyphe, « Le français en héritage », 2021, 96 p., 8 €).
  • LES DICTIONNAIRES FRANÇAIS. OUTILS D'UNE LANGUE ET D'UNE CULTURE, de Jean Pruvost
    (Éditions Ophrys, « L’essentiel français », 2021, nouvelle édition actualisée, 228 p., 18 €).
  • POUR DES SCIENCES EN FRANÇAIS ET EN D’AUTRES LANGUES. COLLOQUE INTERNATIONAL ORGANISÉ PAR LE MINISTÈRE DE LA CULTURE, DGLFLF, INSTITUT DE FRANCE 2019, actes réunis par Jean-Christophe Bonnissent et Paul de Sinety (Honoré Champion, « Lexica. Mots et dictionnaires », 2021, 238 p., 35 €).
  • * * *
  • LA GRANDE GRAMMAIRE DU FRANÇAIS, sous la direction d’Anne Abeillé et de Danièle Godard (Actes Sud, 2021, 2 628 p., 89 €, liseuse ou PDF : 66,99 €).
  • 200 MOTS ÉTRANGERS QUE LE FRANÇAIS A ADOPTÉS, de Marie-Dominique Porée (Éditions First, 2021, 176 p., 7,95 €, liseuse, 5,99 €).
  • LANGUE FRANÇAISE MINUTE. 200 DIFFICULTÉS À SURMONTER POUR ÉCRIRE ET PARLER UN FRANÇAIS CORRECT, de Delphine Gaston-Sloan
    (Éditions Contre-Dires, 2021, 420 p., 14,90 €).
  • Aux éditions Le Robert :
    PARLER COMME JAMAIS. LA LANGUE : CE QU’ON CROIT ET CE QU’ON EN SAIT, de Laélia Véron et Maria Candea (2021, 324 p., 19 €).
    150 DRÔLES D'EXPRESSIONS POUR RAMENER SA SCIENCE, avec Étienne Klein (2021, 350 p., 12,90 €).
    LES MOTS ONT DES OREILLES, de Daniel Pennac et Florence Cestac (2021, 77 p., 14,90 €).
  • LES 100 EXPRESSIONS INSPIRÉES DE L’ART, de Sarah Belmont (Le Figaro littéraire, 2021, 168 p., 9,90 €).
  • L’ANGLAIS EN DÉBAT AU QUÉBEC. MYTHES ET CADRAGES, de Virginie Hébert (Presses de l’Université Laval, 2021, 194 p., 19,95 €).
Nos adhérents publient
  • Sous le pseudonyme de Jehan de La Source, Alain Rousseau vient de publier son nouveau et charmant recueil Poèmes 2020, pour « s’échapper de l’enclos de nos confinements » (Les Éditions La Bruyère, 80 p., 16 €).
  • Christian Faison, nouvel adhérent, nous signale ses derniers ouvrages : J’ai dix ans, ma vie est un cauchemar (J’ai lu, 2007, 256 p., 5,80 €), livre traduit en japonais, et J’ai choisi de vivre. Histoire d’une résilience, en collaboration avec le psychothérapeute Yves Boulvin (Presses de la Renaissance, 2010, 180 p., 19 €).
  • Dominique Aguessy publie Bleus d’Aurore, préface de Piet Lincken (Éditions du Cygne, « Poésie francophone », 2021, 102 p., 13 €). Ces poèmes, éloge de la fragilité, retrouvent le chemin de l’émerveillement, de la quête du sens de l’Histoire, du sens de la vie pour chacun.
  • Dans Livr’arbitres (n° 35), Bernard Leconte présente le « polar bernanosien » de Michel Bouvier, À l’ombre des saules (Éditions Gilles Guillon, 2021), et Catherine Distinguin la Correspondance (1569-1614) de Marguerite de Valois (Classiques Garnier). Elle analyse celle de Marie- Madeleine Martin et Jean de La Varende, tirée de La Varende et moi (édité par l’association Présence de La Varende).
  • Axel Maugey nous fait connaître un grand poète québécois, à travers un essai écrit avec passion et rigueur : Gaston Miron : le poète et le politique. Un amoureux de la langue française (Éditions Unicité, 2021, 124 p., 14 €).
  • Marc Rousset se demande Comment sauver la France. Pour une Europe des nations avec la Russie (Éditions du Panthéon, 2021, 440 p., 26,90 €). « Le multilinguisme européen doit être préservé, écrit-il, chaque nation gardant son identité et sa langue. »
  • « De l’écran et de son omniprésence... », tel est le thème de la chronique de Jean Pruvost dans le 231e numéro de la Revue de l’AMOPA.
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