Défense de la langue française   
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DÉJEUNER PARISIEN DU 18 JANVIER 2007
Invité : Franck Ferrant

Les chevaliers de la langue française

Notre vice-présidente, Françoise de Oliveira, nous présente l'invité d'honneur de ce début d'année 2007 : Franck Ferrand, chroniqueur à Europe 11, dont nous découvrons les différents domaines d’activité.

Franck Ferrand, non sans humour, rebondit sur le titre de « conférencier professionnel », qui vient de lui être attribué, pour préciser qu'en la circonstance il ne souhaite pas nous faire une conférence ex cathedra, mais nous entretenir, pour ainsi dire amicalement, de ce qui lui tient tant à cœur : la langue française. Il souffre de la voir maltraitée. Et soudain, le ton devient grave pour nous alerter contre le risque d'assister à l’étiolement de cette langue, si l'on ne prend garde aux atteintes portées impunément à son intégrité, et ce, dans les milieux où l'on s'y attendrait le moins.
Pour preuve de ce qu'il avance, Franck Ferrand va nous retracer les étapes d’une carrière dominée par sa prédilection pour l'Histoire. Dans cette optique, le jeune homme s'orientera vers Sciences-Po. Las ! Il y est soumis à des exercices où l'on apprend aux étudiants à exprimer en langage abscons, voire absurde, ce qui pourrait se traduire en langage clair et logique. On complique à dessein la réalité, à grand renfort d'euphémismes et de termes pseudo-savants – en économie par exemple –, si bien qu'on aboutit à un jargon compris des seuls initiés.
Écœuré, Franck Ferrand se dirige alors vers l'École des hautes études en sciences sociales, où il décèle des procédés assez semblables ; ce qui le navre, mais simultanément l'éclaire sur une des causes de la détérioration du français.
Arrive le temps du service militaire, effectué au service d’histoire orale des Armées. Franck Ferrand y a pour mission de rassembler et de rédiger divers récits de vie, devenant une sorte de mémorialiste.
Ce travail de transcription lui permet de vérifier qu'il existe bien deux types de langue : écrite et parlée. Selon lui, 30 % seulement des termes employés couramment à l'oral se retrouvent dans les textes écrits. Or, actuellement, pour des raisons complexes, la langue parlée est en train de se substituer à la première. Même les écrivains de profession n'échappent pas toujours à cette contamination et sacrifient volontiers à la mode de l’oralité écrite.

Pourtant, il convient de rappeler que la langue française, dans son essence, reste la langue écrite, formalisée, travaillée pour être correcte et expressive. Cette FORMALISATION s'esquisse dès le XVe siècle, mais elle va s'affermissant, notamment au XVIIe, le siècle de Corneille, le grand maître (on pourrait dire le « mètre étalon » !). Il appartient à une période encore mouvementée, baroque, mais qui s’effacera bientôt devant le pur classicisme formulé par Boileau vers 1670. Dès lors, on assistera, environ tous les cinquante ans, à une alternance d'écrivains respectueux des règles et d'autres, désireux de s'en évader en recourant à des modes d'expression plus souples. Au XVIIIe siècle, le théâtre de Marivaux, par exemple, illustre cette seconde tendance. Chateaubriand « au confluent de deux siècles » aura l'art d'unir harmonieusement la justesse, l'exactitude classiques, aux élans de la sensibilité et de l'imagination. Il demeure à cet égard une puissante référence. Toutefois, le Romantisme des années 1825-1830 tentera de libérer la langue du joug estimé trop contraignant du classicisme, qu'on ne retrouvera qu'à la fin du XIXe sous la Nouveau Roman, vers 1950, où des écrivains comme Michel Butor ou Nathalie Sarraute ne craindront pas de procéder à la déstructuration de la langue. Le vent de désordre, qu'ont fait souffler parfois dans le passé certains excès, s'est apaisé dans les années 70-80 qui marquent un retour à une certaine sagesse.
Ce mouvement de balancier, quasi régulier, n'avait pas jusqu'ici compromis fondamentalement le délicat équilibre entre la fixation de la langue et son évolution. Il était même nécessaire au maintien de sa bonne santé, selon la devise de DLF : « Ni laxisme ni purisme ».
Malheureusement, il en va tout autrement aujourd'hui, où le développement rapide des communications de tous ordres accorde la prépondérance au parler quotidien : on est surpris d'entendre, dans le secteur de l’audiovisuel, la recommandation faite aux jeunes recrues de « s'exprimer comme tout le monde, d'être simples ». En l'absence de critères de qualité, la simplicité ne risque-t-elle pas de devenir grossièreté, uniformisation et, finalement, insignifiance ?
On ne saurait évidemment se résoudre à voir la langue française ainsi menacée par le laisser-aller, l'ignorance, la passivité devant la volonté systématique de l'affadir et de l'avilir. Franck Ferrand ne nous a exposé ses déconvenues et ses craintes que pour nous aider à les faire nôtres et à les surmonter. « On ne peut combattre un ennemi qu’on ne connaîtrait pas ! »
C'est dès lors à chacun de nous, en France et non dans le seul cadre de la Francophonie, qu'il appartient de relever le défi avec lucidité et générosité. Nous devons être, selon Franck Ferrand, les « chevaliers de la langue française », cette langue claire et précise, sans complaisances. Où l’on songe au conseil de Proust à Léon Daudet : « Vous apprendrez que le sacrifice à une forme qui nous plaît n’est qu’un aspect caché, d’autant plus dangereux, de l’insincérité. Et puis, mais c’est secondaire, que le naturel a des grâces inouïes, la simplicité, des charmes ineffables. » *
Denise MÉNERET

1. Le dimanche de 14 à 15 heures, Franck Ferrand y anime une chronique sur des sujets historiques extrêmement variés.
* Ce compte rendu a été aimablement relu par Franck Ferrand.
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