Défense de la langue française   
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Le français pour Bernard de La Villardière
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Remerciements du lauréat du prix Richelieu 2018, le 14 mars, à l’Institut de France

Croyez bien que je reçois ce prix avec bonheur et gravité car j’ai été élevé dans un environnement dans lequel la littérature tenait une large place. J’ai commencé, comme beaucoup d’enfants de mon âge, par Enid Blyton et la comtesse de Ségur. Puis je me suis enhardi et j’ai puisé dans la bibliothèque familiale – souvent en cachette !

Le ciel n’a pas de préféré, d’Erich Maria Remarque, m’a initié au sentiment amoureux tout autant que L’Amant de Lady Chatterley, de D.H. Lawrence... plus transgressif... J’ai toujours pensé que ma mère l’avait laissé traîner, pensant qu’en matière d’éducation aux émois sexuels un bon roman valait mieux que de longs discours.

Puis ce fut la rencontre avec Somerset Maugham et Nevil Shute. Nevil Shute raconte dans Le Dernier Rivage les derniers jours d’un groupe de survivants d’une Terre dévastée par le feu nucléaire. Un roman qui est une formidable introduction au charme et à la sinuosité des sentiments humains écartelés entre désirs immédiats et envie d’éternité.

L’excès de lecture m’a durablement corrompu. D’autant que ces fréquentations littéraires s’enrichissaient chaque jour de sensations vécues en Argentine, en Italie, au Liban au gré des mutations professionnelles de mon père.

Corrompre est le mot juste : dans Le Grand Coeur, Jean-Christophe Rufin décrit bien ce que je ressentais à l’adolescence : « À ce moment-là, je crois, j’ai pris conscience qu’aucune existence, si heureuse ou brillante fût-elle, ne me suffirait jamais. »

J’ai choisi très tôt de devenir journaliste car il me semblait que la carte de presse serait le meilleur sésame pour vivre vite et intensément. Après un long vagabondage professionnel plus ou moins heureux, j’ai trouvé à M6 – en la personne de Nicolas de Tavernost son président – un ami compréhensif et attentionné, qui m’a ouvert une place sur son antenne pour que je puisse enfin réaliser mes rêves et réparer mes frustrations d’adolescent trop longtemps confiné dans des pensionnats austères.

Je suis bien conscient que c’est aussi cette émission « Enquête exclusive » que vous honorez aujourd’hui. Après douze ans d’existence, elle réalise en part d’audience ses meilleurs scores depuis dix ans, notamment auprès du jeune public. C’est la seule émission d’information du PAF qui consacre autant de place aux affaires internationales. Trois numéros sur quatre s’intéressent à un pays étranger. Depuis septembre, j’ai pu me rendre avec mes équipes aux États-Unis, en Afrique du Sud, en Colombie (deux fois), aux Philippines (deux fois), en Corée du Sud, en Russie...

M6 me permet de m’attaquer à des sujets que le conformisme intellectuel, le politiquement correct et l’esprit de soumission interdisent de traiter ailleurs. Nous l’avons fait avec « Dossier tabou » en prime time, il y a dix-huit mois, avec « Islam en France : l’échec de la République », qui dénonçait le fait que l’islam en France est organisé sur notre territoire par des puissances étrangères qui se livrent à une guerre d’influence où le plus fort, le plus riche, celui qui propage la doctrine la plus obscurantiste l’emporte. Nous avons diffusé un sujet sur le harcèlement sexuel – une longue enquête qui a duré plusieurs mois – quelques jours avant que n’éclate l’affaire Weinstein.

On croit qu’à la télévision les images l’emportent sur les mots. On a tort. Un documentaire de cinquante-deux minutes, c’est beaucoup d’enquêtes et donc d’écriture en amont et une trentaine de feuillets de commentaires. Je me suis toujours battu par ailleurs contre la règle ainsi exprimée dans notre milieu : « À la télé, il ne faut pas aller au-delà de 300 mots de vocabulaire. » Ne plus utiliser un mot, c’est le condamner à mort, mais c’est aussi chasser toutes les nuances de la langue. Et c’est précisément ce dont nous souffrons. La nuance maintient le lien. Aujourd’hui, il se distend tout comme la langue elle-même. Des mots-valises, des expressions comme pas de discrimination, pas de stigmatisation ou encore pas d’amalgame veulent enrégimenter la liberté de pensée. On a supprimé le mot race, mais on a inventé « le racialisme », on a supprimé l’apartheid mais on veut mettre en place le séparatisme entre les hommes et les femmes, entre les Blancs et les non-Blancs, entre les anciens colonisateurs et les anciens colonisés... On veut criminaliser l’identité culturelle, mais on promeut le déterminisme génétique entre le camp du bien et le camp du mal... C’est le nouveau fascisme qui vient...

Je sais que le jury n’est pas indifférent face à cet appauvrissement de la pensée et cette guerre civile froide, puisque les plus récents lauréats de ce prix de Défense de la langue française sont Natacha Polony et Bruno Frappat et que vous avez aussi primé des esprits iconoclastes comme Philippe Meyer et Franz-Olivier Giesbert qui ne cessent de secouer le cocotier et de réveiller notre profession, qui oublie trop souvent son devoir de désobéissance face à la pensée unique. L’humour lui-même est pris dans les glaces de la « bien-pensance ». Je pense à un autre lauréat, Jean Amadou, que j’ai croisé à Europe 1 il y a vingt ans. Je me souviens de sa longue silhouette élégante traversant la rédaction et jetant autour de lui le sourire triste d’un Pierrot à qui on ne la fait plus.

Enfin, je m’adresse à vous, monsieur l’académicien, car il y a deux choses qui nous rapprochent : le Liban et Michel Déon. J’ai un fantasme : devenir ambassadeur au Liban. J’espère que vous m’aiderez à le réaliser ! Dans Les Poneys sauvages, de Michel Déon, un homme rabroue ainsi son ami journaliste : « Qu’avez-vous besoin de vous promener partout dans le monde pour vous assurer de ce que vous savez déjà depuis toujours : que les hommes sont bêtes et méchants, et que c’est pour cela que Dieu n’a pas voulu qu’ils fussent immortels. »

Je vais avoir soixante ans dans quelques jours et c’est donc plutôt un autre roman de Déon que je vais mettre en bonne place dans ma valise : La Montée du soir ! J’ai souvent pensé que j’aborderais plein d’enthousiasme encore le troisième âge de la vie, ressassant mes souvenirs et les sensations accumulées comme on suce des pierres ramassées au fond d’un torrent. Et puis, j’ai lu récemment un livre de poésie de Gérard Chaliand dans lequel il y a ce vers terrible :
« Ma vie se souvient de ce qu’elle n’a pas connu »...
Loin de se laisser griser par la nostalgie et les remords... il va donc falloir continuer d’avancer jusqu’à ce moment de la vie – comme l’écrit Déon – « où nous nous apercevons que les amitiés, les amours, les sentiments et jusqu’aux mots et aux noms que nous croyons perdre par une sorte de maladresse déprimante, en réalité nous quittent d’eux-mêmes, animés d’une sournoise volonté de fuite »...

Bernard de La Villardière, journaliste, né le 25 mars 1958 à Boulogne-Billancourt.

Diplômes : BTS de commerce international, licence de droit public, maîtrise de sciences politiques, licence de journalisme du CELSA (Centre d’études littéraires et scientifiques appliquées).

Carrière : Reporter et présentateur à Alouette FM (1983-84).
Reporter au quotidien Le Journal de l’Île de la Réunion (1984-85).
Présentateur à Radio Méditerranée internationale à Tanger (Maroc) (1986-87).
Chef d’édition à France Info (1987).
Reporter et présentateur à RTL (1987-94).
Chef d’édition et animateur du magazine Le Journal du monde sur LCI (1994-96).
À M6 : présentateur du magazine Les Produits stars (1997-98).
Rédacteur en chef et présentateur des émissions Zone interdite (7 d’or du meilleur magazine d’information et de reportage, 2000) (1998-2005) et Ça me révolte (2001).
Producteur et présentateur des émissions Enquête exclusive (depuis 2005).
Dossier tabou (depuis 2016).
Président de la société de production d’information audiovisuelle Ligne de front.
Président de l’Association des journalistes du Press Club de France (2002).
Administrateur du Centre de formation des journalistes (CFJ).

Œuvres : L’Anti-drogue (en coll., 1994), L’Homme qui marche (2016).
(D’après le Who’s Who 2018.)
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