Défense de la langue française   
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Éditorial N° 215

par : Jean DUTOURD de 1 'Académie française



Faire découvrir le vocabulaire des métiers est l'un des objectifs de notre revue. Cette préface de Jean Dutourd pour le Dictionnaire d'odonto-stomatologie, français-anglais, de Louis Verchère et Madge Verchère (CILF -PUF, 2004, 80 €), nous en donne les raisons.
En France, les médecins parlent grec et latin depuis quatre cents ans. Le grec et le latin les ont aidés à descendre jusqu'au fond du corps humain et à en nommer les parties les plus mystérieuses. Le français s'allie très bien avec ces deux langues antiques, et il y a à présent tout un idiome médical que chacun comprend, jusqu'au plus ignorant des malades.
Mon père, qui était dentiste, usait volontiers de ce vocabulaire, et j'en étais extrêmement impressionné quand j'étais petit. Ensuite un peu moins, naturellement. Toutefois je n'en ai jamais ri, même lorsqu'il employait des termes très compliqués. C'était à mes yeux quelque chose d'aussi respectable et, oserai-je dire, pittoresque qu'un langage de métier. Pas aussi beau, bien sûr, que le langage de la marine à voile ou de l'équitation, mais ayant aussi sa poésie, née de l'utilité.
J'ai remarqué que s'il est une langue à laquelle le gosier français, et conséquemment l'entendement français, sont réfractaires, c'est l'anglais. C'est à cause de cela, je pense, que les Français s'évertuent tellement, de nos jours, à l'employer. Toute langue hermétique produit une magie qui s'exerce sur les gens qui ne la comprennent pas : en France, on parle anglais, non pas pour s'adresser au monde anglo-saxon, mais aux autres Français, afin de les éblouir. Les commerçants prétendent qu'ils rédigent leurs réclames en anglais pour conquérir le marché extérieur, mais ce n'est pas vrai : ces réclames sont destinées principalement au chaland français qui s'émerveillera en constatant que son fournisseur sait s'exprimer dans la langue magique.
Les savants et les chercheurs ont un raisonnement du même genre. Ils rédigent leurs communications en anglais jusque dans les revues françaises parce que, disent-ils, le reste du monde sans cela n'auraitpas la curiosité d'en prendre connaissance. Il me semble, à moi qui ne suis ni savant ni chercheur, que s'il y avait dans ces découvertes de grandes nouveautés, les savants étrangers se donneraient la peine de les traduire eux-mêmes. Ils le faisaient il y a cent ans. Ils le faisaient pour Pasteur. La science française moderne serait-elle devenue à ce point négligeable ?
Je. n'en crois rien. Et ce dictionnaire que voici en est la preuve. Il codifie le nouveau langage de la dentisterie (ou odontologie, d'après le grec). La première fierté d'une nation est sa langue, elle est son génie même, elle doit pouvoir tout exprimer, y compris ce qui vient d’ailleurs. N’oublions jamais qu'au XVIIe siècle Buckingham s'écrivait en français (et se prononçait) Bouquinquant.
Jean DUTOURD de 1 'Académie française
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