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Éditorial N° 234
Identité et appartenance
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S’annonce l’un de ces débats dont les Gaulois ont le secret, qui
dégénérera en querelles, où se perdra le sujet d’origine, et qui
n’aboutiront à rien, sinon à des byzantinismes de théologiens. On
veut parler de l’« identité française », qui agite les esprits en ce
moment et qui contient déjà dans la formule un contresens. N’est-on
pas en train de confondre identité et appartenance ? Avant qu’on ne
profère mille bêtises, qui seront aussitôt dites qu’oubliées, relevons
que le ministre qui a lancé cette bombe fumigène, de nature à
distraire chômeurs, SDF et jeunesse inquiète de son avenir nous
ramène à ce qui nous importe ici : la langue française. La circulaire
que l’Excellence adresse aux préfets est émaillée de fautes et de
pataquès qui augmenteront l’obscurité de la chose.
En ce 40e anniversaire du départ du général de
Gaulle, qui marqua la fin de tant de choses et de
ce besoin de rêve qui nous est vital, rappelons
une boutade de l’homme du 18 Juin : il chercha
un jour, pour étoffer son cabinet, un
universitaire sachant écrire. Peut-être l’espèce
est-elle en voie d’extinction, comme le panda,
que l’on doit même soumettre à un traitement
pour qu’il retrouve un peu de ses ardeurs.
Dépassons les questions de passeports : Senghor était sénégalais,
Ramuz, suisse – ce qui est déjà un bel imbroglio – comment peut-on
être helvète avec cinq langues ? Le prince de Ligne était belge,
lorsque, du reste, la Belgique était encore à inventer.
Est français qui rêve, parle, crée, pense et écrit dans notre langue.
Langue romantique entre toutes, en ce sens que la finalité du mot se
prolonge, manière de se perdre dans l’infini. Et pour n’être pas taxé de chauvinisme, mais au fond on s’en accommoderait, relevons que
cette remarque est de l’écrivain italien Alberto Savinio, génial esprit
encyclopédique, aussi méconnu que peut l’être un grand artiste. Chez
lui et à l’étranger.
Angelo Rinaldi
de l 'Académie française
La critique des beautés
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Nous remercions Jean Dutourd, notre président honoraire, de nous
autoriser à reproduire un extrait de « La critique des beautés »,
prologue à ses chroniques littéraires rassemblées dans La Chose
écrite (Flammarion, 2009, 574 p., 25 €).
Dès que j’ai su l’alphabet, je me suis jeté sur les livres. J’en ai lu des
quantités. À huit ans, avec mon argent de poche, j’achetais des
volumes de la Bibliothèque Verte et de la collection Nelson. Tout me
plaisait : il suffisait que ce fût imprimé. La persécution même ne me
manquait pas. Mon père jugeait que je lisais trop, que cela prenait sur
le temps des études ou sur le sommeil. La nuit, voyant de la lumière
sous la porte de ma chambre, il entrait, éteignait, m’arrachait mon
roman sans se soucier s’il m’interrompait au milieu d'une phrase.
Pour éviter ces contrariétés, je me cachais dans mon lit comme sous
une tente, avec une petite lampe électrique. Ainsi, étouffant de
chaleur, à demi asphyxié, mais ne sentant rien car j’étais trop occupé
à déjouer les combinaisons de Richelieu ou à causer avec Louis XI,
ai-je avalé des bibliothèques. Ce n’était pas tout à fait sans plan : dès que je m’amourachais d’un auteur, je me procurais de lui tout ce qui
était à ma portée, c’est-à-dire ce qui figurait dans le catalogue de la
collection Nelson. J’avais écumé les Bibliothèques Rose, Verte, Bleue,
où fleurissaient quelques admirables écrivains, tels que la comtesse de
Ségur, Gyp, Edmond About, Zénaïde Fleuriot, Magdeleine du
Genestoux, Mayne Reid, Gustave Guiches, Jean Webster, Alfred
Assollant. Nul n’aurait pu m’en remontrer sur eux. Je connaissais tout
de leur inspiration, de leur ton, de leurs tics, de leurs héros, de la
façon si savante dont ils ménageaient l’intérêt du lecteur et jouaient
de sa sensibilité. Quoique je fusse un peu choqué par leur canaillerie
et leur cynisme, j’avais absorbé et réabsorbé Les Pieds Nickelés, dont la
dénomination a toujours été pour moi une énigme.
Jean Dutourd
de l 'Académie française
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