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Éditorial N° 240
Dernière minute
Philippe Beaussant, de l’Académie française, nous a fait
l’honneur d’accepter la présidence de notre association.
Le conseil d’administration, réuni le 9 juin, l’a coopté
comme administrateur et élu président à l’unanimité.
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Au prix Richelieu 2011
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Le prix Richelieu 2011 a été remis le 7 avril dans les salons
de l’Institut de France.
Notre association Défense de la langue française est actuellement sans
président. Dans ces circonstances regrettables, je suis donc amenée, en
tant que vice-présidente, à vous remettre ce prix Richelieu et je vous
prie instamment de pardonner à une modeste ouvrière de notre ruche
d’oser vous adresser la parole si librement.
En effet, Éric Zemmour, un examinateur à l’École nationale
d’administration, un journaliste d’autant de renom que vous, aurait
mérité aujourd’hui le discours d’un académicien. Non seulement je ne
suis pas académicien, mais je suis une femme. J’illustre ainsi fort bien
votre théorie sur la féminisation de notre société. Aussi vais-je me réfugier
derrière les clichés couramment appliqués aux femmes, qui sont les
valeurs qui marquent leur supériorité sur les hommes (je vous cite) :
« –
la douceur sur la force ;
– le dialogue sur l’autorité ;
– la paix sur la guerre ;
– l’écoute sur l’ordre ;
– la tolérance sur la violence ;
– la précaution sur le risque. »
Vous ne les avez pas niées, vous les avez seulement raillées : je vais donc
m’efforcer de les utiliser.
Il n’est point besoin de vous présenter à cette honorable assemblée :
vous êtes trop connu, et votre publicité – souvent malheureusement
involontaire – a fixé vos articles dans l’esprit de chacun. Quand j’ai
cherché quelque trait bien particulier qui vous caractérise, j’ai appris
que vous aimez et respectez beaucoup les femmes de votre famille. Nous
l’aurions deviné. Mais tout n’est pas perdu, car « le style, c’est l’homme »,
n’est-ce pas ? C’est donc dans votre style qu’il faudra vous découvrir.
En effet, si vous êtes ici, c’est bien pour votre talent littéraire de
journaliste de la presse écrite, et non pour autre chose. Vous savez que
DLF est une association apolitique : le cardinal Mazarin, qu’il convient
de citer en ces lieux, n’écrivait-il pas dans son
Bréviaire des politiciens :
«
L’homme heureux est celui qui sait rester à égale distance de tous les partis » ?
Il me fallait donc analyser votre talent, car si chacun le ressent, l’apprécie
et le savoure, il n’est pas si évident à mettre en lumière. J’ai fait ce travail
de khâgneux sur un de vos articles paru le 12 mars dernier dans
Le Figaro
Magazine, « Les centristes font la loi ». J’y ai tout d’abord constaté que
• votre champ lexical était large et que les mots sont toujours choisis
avec un grand souci de précision. Chose rare, aucun anglicisme, aucun
mot anglais utilisé à vau-l’eau, pour masquer une pauvreté de pensée et
une carence de vocabulaire. (Voilà qui va faire plaisir à bon nombre de
nos membres qui leur font régulièrement la chasse !)
Mais vous aimez les néologismes, je dirais même, si vous me le permettez,
que vous semblez éprouver quelque jouissance à les utiliser : le participe
passé « chiraquisé », dans le sens de « se mettant à ressembler à Chirac,
agissant comme lui », semble bien innocent, mais pourrait être lourd
de sous-entendus.
Le néologisme « pagnolade » m’a ravie : c’est une comédie à la façon
de Pagnol, qui conduit à la rigolade.
• l’enchaînement de vos idées est parfaitement logique, donc votre
raisonnement est irréfutable. Mais il n’est pas articulé par l’emploi de
mots de liaison. Vos phrases sont juxtaposées : c’est au lecteur de les
deviner, de les sentir.
• le rythme de votre texte est remarquable : une phrase très courte. Puis
une un peu plus longue, puis une vraie période latine. C’est le style d’un
orateur. Votre texte se lit à haute voix, il est fait pour être entendu. Et
la petite phrase courte du début est celle que l’on entend, que l’on
retient et que l’on cite volontiers.
Votre force de persuasion est grande. Vous défendez vos idées avec clarté,
rigueur et beaucoup de finesse. Vous usez de force, d’autorité, d’ordre,
vous ne reculez pas devant la guerre et vous avez le goût du risque.
Cependant, bien que vous soyez un homme, vous avez un talent qui ne
serait pas indigne d’une femme.
C’est donc pour cela que DLF a tenu à vous remercier : vous sauvez notre
langue du galimatias et du sabir qui envahissent trop souvent nos
journaux. Nous vous en sommes reconnaissants, vous êtes notre lauréat
2011 du prix Richelieu.
Françoise de Oliveira
Remerciements
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Résumé de l’enregistrement du discours de notre lauréat
Je voudrais d’abord vous remercier pour cette récompense qui me touche
beaucoup, et pour l’analyse, très juste mais trop élogieuse, faite par
M
me de Oliveira qui, en spécialiste, a décortiqué tous mes petits trucs
accumulés à force de lire de grands écrivains – oui, je suis un petit voleur
de grands écrivains et je leur prends tout ce qui me plaît ! Par exemple,
l’alternance de phrases très courtes et de longues périodes latines qu’on
trouve à la fois chez Stendhal et chez Aragon, et, aussi, la suppression
des mots de liaison. Je vais vous faire une confidence : je les enlève, un
peu à la manière des écrivains du XVIII
e siècle, parce que cela donne de
la nervosité à la phrase. Quand je lis un bon écrivain, il m’arrive très
souvent de m’arrêter sur une page, que je relis tranquillement,
uniquement pour la musique du texte et pour m’imprégner de ce texte.
Il y a depuis toujours un lien fort entre le journalisme à la française et
la littérature. Je devrais même ajouter « et la politique », puisque vous
avez cité Mazarin, Richelieu… Il y a, en effet, un trio en France entre
littérature, politique et journalisme. Mon modèle pour mes chroniques,
c’est Mauriac, mais il y en a bien d’autres, où la littérature, en fait,
féconde complètement le regard sur l’actualité et sur la politique et c’est
la grande tradition du journalisme engagé, du journaliste écrivain.
C’est une tradition très française. Les Anglo-Saxons, qui ont d’autres
qualités, eux, privilégient surtout la quête et la recherche maniaque de
l’information. Le Français est moins obsédé par l’information. Il pense
que l’information a tout le temps d’arriver, l’important étant de l’analyser
et de lui donner le recul nécessaire. Je suis d’autant plus touché de
recevoir ce prix que je défends, contre vents et marées, et surtout contre
l’air du temps, cette tradition du journalisme à la française, m’opposant
là aussi – ce n’est pas de l’antiaméricanisme – à l’influence anglo-saxonne
qui pousse nos directeurs de rédaction, nos grands patrons de presse,
à vouloir nous imposer ce journalisme à l’anglo-saxonne et à mépriser
le journalisme littéraire à la française. Nous avons d’autres qualités : la
qualité d’expression, la clarté, l’analyse, la rigueur et la beauté littéraire
de certains des papiers… Je me souviens encore, quand j’ai commencé,
des papiers de Dominique Jamet, qui étaient éblouissants ; c’était
vraiment des oeuvres d’écrivain.
C’est pourquoi je défends cette tradition du journalisme littéraire et
engagé. Cela me vaut beaucoup de polémiques, mais, au moins, je pense
que c’est ainsi qu’on fait vivre une certaine tradition du journalisme à
la française. Je la défends dans mes papiers, dans mes livres et même
dans mes prestations audiovisuelles, en essayant toujours de maintenir
un minimum de qualité d’écriture et de rigueur, et de clarté de la pensée.
Une dernière chose, très personnelle : ce lien entre journalisme et
littérature, je l’ai connu enfant. La première fois que j’ai voulu être
journaliste, je devais avoir 13-14 ans ; c’était en lisant
Les Illusions perdues.
Je ne sais pas si vous vous en souvenez : quand Lucien de Rubempré se
retrouve entouré d’actrices – je pense que c’est surtout cela qui me
plaisait –, il leur lit son article superbe, d’une qualité littéraire absolument
magnifique et d’une si grande virtuosité. Évidemment, toutes les actrices
l’acclament ! Alors, je me suis dit : « Vraiment, tout cela me plaît
beaucoup. »
Éric Zemmour
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