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Éditorial N° 247
La voix dans tous ses états
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Nous extrayons de Vous avez dit « classique » ?*, ouvrage lumineux de
notre président, ce passage sur la voix.
Il y a la voix chantée, celle qui se délie si royalement de toute signification
à transmettre, de toute confidence autre qu’elle-même, qui unit si
intimement et si indistinctement le sens et le son, qu’elle nous émerveille
et parvient à nous convaincre sans jamais nous dire exactement de quoi.
I1 y a la voix parlée. Pauvre Cendrillon, prosaïque et rude au long de
nos journées, simple servante de quelque chose qui n’est pas elle, et
qu’elle transporte. Messagère. Fidèle, infidèle. Secrètement fidèle,
puisqu’elle corrige, puisqu’elle colore, puisqu’elle parfume la sécheresse
des mots en leur ajoutant l’amitié, la crainte, la tendresse, l’humour. La
trace la plus fragile, la plus sensible, la plus éphémère, de l’homme. Une
inflexion, et tout est changé. Un demi-ton, et voici l’amour, la passion
ou la folie. Un petit espace non mesurable, voici la mort, ou l’ardeur,
ou l’orgueil. Une hésitation entre deux syllabes : voici que ce que nous
croyions vouloir dire n’est plus tout à fait ce que nous avons dit.
Il y a la voix de la poésie, où le sens et le son ne peuvent presque plus
se détacher l’un de l’autre et qu’à mi-chemin de la musique, nous ne
savons plus qui nous parle : elle porte son double fardeau sans savoir
qu’il est double, et nous atteint traîtreusement par sa mélodie en nous
faisant croire que nous entendons raison. C’est alors que ce que nous
avons dit est beaucoup plus que ce que nous voulions dire ; c’est alors
que la voix parlée devient musique, et au-delà.
Philippe Beaussant
de l’Académie française
* Vous avez dit « classique » ? Sur la mise en scène de la tragédie (Actes Sud, 1991,
p. 105 et 106).
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