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Éditorial N° 259
Héritage sans nostalgie
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«
Qu’est-ce que l’action culturelle française à l’étranger ? », tel est le
titre du discours* que Xavier Darcos a prononcé, le 7 mars 2011,
lors de la séance publique de l’Académie des sciences morales et
politiques.
I. L’héritage
1. Pas de nostalgie
D’abord, il faut pouvoir parler de l’héritage sans nostalgie. La
tentation est grande, il faut bien le reconnaître. Marc Fumaroli a
magnifiquement évoqué, dans son recueil
Quand l’Europe parlait
français, le règne de la France sur les esprits grâce à l’usage généralisé
de sa langue parmi les élites du XVIIIe siècle. La pensée inventive,
l’esprit de conversation, l’attitude critique ne pouvaient s’exprimer
que dans la langue de Voltaire. Au fond, le dessein du Grand Siècle,
incarné par « les quarante » de l’Académie française, paraît avoir
réussi au siècle des Lumières : la langue française s’est élevée au rang
de langue classique de l’Europe, elle était reconnue comme
équivalent moderne du latin des Anciens. Peu de pays ont un tel
passé. C’est même, sans doute, sans égal. Mais la nostalgie est inutile,
nuisible même, si elle ne doit pas aider l’action aujourd’hui.
Nous ne sommes plus à l’époque où venaient étudier ou enseigner à
Paris les meilleurs esprits de la planète. Ils prennent désormais le
chemin des États-Unis, de la Chine, de Singapour – même si la France
reste le quatrième pays au niveau mondial pour l’accueil et la
formation des élites étrangères, en dépit d’une politique des visas très
restrictive. Notre influence culturelle n’est plus assurée par
l’essaimage de nos grands intellectuels, autrefois réclamés par les
cours étrangères : Diderot en Russie, auprès de Catherine II ; Voltaire
à la cour de Prusse, conseiller de Frédéric II. Nous ne créons plus de
chaires universitaires dominantes dans de grands pays, comme le Brésil
qui accueillait en 1945 Roger Caillois ou Claude Lévi-Strauss. Certes,
nous prenons pied dans les pays du Golfe, comme le montre la
Sorbonne à Abu-Dhabi. Mais nous reculons sensiblement en Afrique.
Je ne dis pas que nos écrivains et penseurs soient ignorés, surtout
dans le domaine des sciences humaines, ni que nos artistes ne
voyagent plus, notamment nos architectes. De même, nous
rencontrons encore à travers le monde des personnes qui vouent à la
France une profonde reconnaissance, parce qu’à un moment décisif
de leur vie, une bourse d’étude ou l’invitation d’un centre culturel a
déterminé leur carrière. Mais il est devenu de moins en moins
fréquent – chacun d’entre nous peut s’en rendre compte au cours de
ses voyages – que les élites étrangères aient une connaissance
approfondie de la langue, de la culture et du savoir-vivre français.
Elles trouvent même, parfois, notre prétention universaliste
arrogante.
2. Un peu d’histoire
La « diplomatie culturelle », comme aspect essentiel de l’action
extérieure de la France, a déjà une longue histoire. Elle s’est
développée dès le XIX
e siècle, d’abord comme un moyen d’influence,
fondé sur notre langue, sur les écoles et sur les coopérations
universitaires.
Les centres culturels furent d’abord des antennes d’universités
françaises – Grenoble à Prague et Milan, Toulouse à Barcelone,
Bordeaux à Oran ou Bristol, etc. Ces antennes prirent communément
le nom d’ « instituts », qui organisaient des conférences et des cours,
notamment de littérature et de civilisation françaises. À cette
première génération – l’Institut de Florence en 1908, celui de
Londres en 1910, celui de Lisbonne en 1928 ou encore celui de
Stockholm en 1937 – s’ajoutèrent après la Libération des instituts « de
seconde génération », principalement au Moyen-Orient (Beyrouth,
Téhéran...), en Afrique et en Europe (en Allemagne notamment).
Une puissante « Direction générale des relations culturelles »
remplaça en 1945 le modeste « Service des oeuvres françaises à
l’étranger » qui datait de 1920. Les premiers postes de conseillers
culturels en ambassade furent créés en 1949. Ce renouveau fut très
fortement secondé par l’Alliance française, fondée en 1883, qui
développa fortement son réseau, notamment en Amérique latine,
dans les années 1950-1968. Si bien que – l’histoire est ainsi faite – la
France s’appuie sur une double structure : le réseau des
établissements culturels proprement dits (150 dans 91 pays) et celui
des Alliances françaises (1 098 établissements dans 138 pays).
Par cette action, depuis la Seconde Guerre mondiale, la France a
anticipé, comme pour le conjurer, le déclin de son influence. La
défense de son « rang » dans le monde est passée par une politique
de promotion et d’exportation massive de la culture française à
l’étranger. Il s’agissait bien d’une forme de compensation. Marc
Fumaroli, dans son essai sur l’
État culturel, a montré que ce sursaut
s’inscrivait d’abord dans un contexte de défaite :
« Ce fut d’abord un rêve d’intellectuels, s’éprenant d’un État fort, l’image
inversée de la Troisième République jugée aboulique et divisée. Ce fut ensuite
une compensation officielle à la défaite de 1940, puis à la retraite de
l’Empire, et un rempart fictif contre la contagion des moeurs et des loisirs
américains. »
Non seulement les Français ont compris très tôt que l’influence de la
France se mesurait à l’image qu’elle projette, mais ils ont aussi tiré les
conséquences, au XX
e siècle, de l’évolution de cette image. C’est aussi
ce que nous devons faire aujourd’hui, et comprendre, avec modestie,
comment le reste du monde nous regarde.
(À suivre.)
Xavier Darcos
de l’Académie française
* On peut lire ce texte dans son intégralité sur le site de l’Académie française.
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