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Éditorial N° 262
L’Écume des mots
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Préface de notre président pour L’Écume des
mots. T. II des délices de la langue française (Éditions
Terra Mare, 2016, 200 p., à commander au
secrétariat de DLF, 15 € + 5 €
de frais de port).
« Ivres de sel et d’air et brûlés par l’écume... »
Voici donc, succédant à un premier recueil paru en 2006, le tome II
d’une anthologie – un bouquet, au sens propre – qui ne ressemble à
aucune autre. Elle rassemble les meilleures expressions écrites, issues
de deux concours : Le Plumier d’or (créé en 1996 et organisé en
partenariat avec la Marine nationale, à destination des élèves de 4e) et
La Plume d’or (créée en 2000 avec l’aide du Sénat, pour tous les
étudiants des Alliances françaises à travers le monde). Avec un titre aussi
suggestif que
L’Écume des mots, il allait de soi que les Peintres de Marine
accepteraient d’illustrer cet ouvrage. Qu’ils en soient remerciés.
«
L’enfant est le père de l’homme » : la formule du poète William
Wordsworth, souvent utilisée à tort et à travers, prend tout son sens dès
qu’on jette un regard sur des poèmes écrits par des collégiens ou des
jeunes auteurs en herbe. Certes, le genre s’y prête à merveille, puisque
la poésie tente toujours, confusément ou explicitement, d’atteindre un
« en deçà » de la raison, en cherchant à ressaisir l’univers par la sensation,
en recréant un univers verbal et sonore fait d’impressions intuitives et
sensuelles. D’où le privilège accordé à l’état d’enfant (l’infans est,
littéralement, celui « qui ne parle pas encore »), vu comme source créatrice et véridique, avant que l’homme ne soit apte à formuler ou à
analyser le monde de manière rationnelle et, surtout, à mentir grâce au
trafic des mots maîtrisés. Les jeunes amplifient ce qu’ils perçoivent, dans
la joie comme dans l’angoisse, et leur connaissance est sensorielle,
principe de plaisir et de magie. Voilà pourquoi toute poésie est
vaguement litanique, de la berceuse, qui ressasse et apaise, au requiem,
qui tisse ses redites consolatrices.
Pour le collégien, comme d’abord chez les tout-petits, la poésie est
d’emblée un espace de jeu et d’aventure, puisqu’elle délaisse le langage
ordinaire. Cet écart est en soi ludique, comme le sont les jeux de mots
ou les comptines, mais il invite aussi à s’interroger sur l’usage commun,
sur les stéréotypes, sur la platitude langagière. La poésie joue donc un
rôle décisif dans la maîtrise de la langue, proposant une dimension plus
libre de l’écriture, où l’on peut manipuler la syntaxe et les règles, créer
un lexique, mobiliser la valeur auditive ou visuelle des mots.
Mais, comme le prouve ce recueil, il ne s’agit pas seulement de bricoler
des bouts-rimés autour de thèmes puissants (la solitude, l’amour, le
voyage, le deuil, etc.). Il faut rédiger, ordonner la page, donner du sens,
créer des connivences. On voit que les jeunes s’interrogent aussi sur les
échos que provoquent dans leur raison et dans leur coeur les poésies
qu’ils ont fréquentées. Bref, ils entrent en littérature sur la pointe des
pieds. Bientôt, au lycée ils comprendront aussi, peu à peu, que les grands
recueils dialoguent entre eux à travers le temps, que la poésie est la clé
qui ouvre la voie vers ce qu’on nommait naguère
« les belles-lettres » ou
« les humanités », et qui n’est rien d’autre que la culture, ce qui relie et
ce qui se transmet.
Ce jeu avec le langage est source de plaisir et d’aventure. «
Les mots
font l’école buissonnière », comme disait Prévert. Rien d’étonnant si la plus
ancienne métaphore de la création poétique est celle du voyage, du
départ, de l’embarquement, de l’errance. Les élèves saisissent presque
spontanément cette ivresse des mots. Ils sentent combien la poésie,
originellement orale, exploite les ressources de la voix, de la parole et
du chant. Voilà aussi pourquoi la poésie et la chanson entretiennent des rapports si étroits : la connivence des poètes et des compositeurs est
originelle (des aèdes aux troubadours) et se poursuit jusqu’à nous dans
le rap. Depuis la nuit des temps, la poésie fixe ce qui ne doit pas être
oublié dans l’histoire de l’humanité : la légende, l’épopée, les aphorismes
antiques, les textes religieux. C’est par le même procédé qu’elle s’anime
dans les essais de nos collégiens. Car les régularités rythmiques de la
versification ou des refrains favorisent la reviviscence de la sensation
et la force mnémotechnique, comme le chante Charles Trenet :
«
... longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore
dans les rues ». C’est exactement la mission de l’école : laisser une longue
trace, un viatique pour la vie.
Dans un temps si maussade et jargonnant, où l’on ridiculise nos
traditions et nos convictions, où le langage se trouve malaxé, compacté
et appauvri par les modes de communication modernes, il est rassurant
de lire ces textes simples, vrais et beaux. Sans ostentation ni emphase,
dans la patience et la fidélité, ils sont un hymne modeste au français et
à la civilisation dont il est porteur. Le titre marin de ce recueil leur va
bien. On se prend à fredonner
L’Horizon chimérique de Jean de La Ville
de Mirmont :
«
Ivres d’air et de sel et brûlés par l’écume
De la mer qui console et qui lave des pleurs
Ils connaîtront le large et sa bonne amertume.
Les goélands perdus les prendront pour des leurs... »
Xavier Darcos
de l’Académie française
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