Défense de la langue française   
• Siège administratif : 222, avenue de Versailles 75016 Paris • 01 42 65 08 87 • dlf.paris@club-internet.fr •

Éditorial N° 282


Célébration
-----------------

Voici la suite du « Discours d’ouverture » (voir DLF no 281) prononcé par notre président, le 8 juin 2021, à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de La Fontaine* célébré par l’Institut de France.

Un dernier paradoxe encore : La Fontaine a été présenté, dans la tradition historiographique de notre littérature, comme le poète français par excellence. Hippolyte Taine y voyait même l’archétype de « l’esprit gaulois ». Et, pourtant, il incarne pour nous un moment de perfection dans le classicisme du Grand Siècle. Curieux binôme, entre Vercingétorix et Louis XIV. Pour sortir de ces étiquetages, tenons-nous-en à la définition panoptique que La Fontaine donnait de son oeuvre :
« Une ample comédie à cent actes divers
Et dont la scène est l’univers.
»

Ce spectacle total, le baron Feuillet de Conches en avait saisi la puissance universelle. Chef du protocole au Quai d’Orsay, au XIXe siècle, il était bien placé pour percevoir la dimension internationale de son auteur préféré. Il imagina de confier une mission spéciale aux diplomates et consuls français partant vers les horizons les plus lointains : ils devaient trouver les meilleurs artistes du pays, et leur faire illustrer quelques-unes des Fables de La Fontaine. La collection exceptionnelle ainsi réunie par Feuillet de Conches, aujourd’hui l’un des trésors du musée de Château-Thierry, ne résume-t-elle pas l’un des sens profonds de l’oeuvre qui nous réunit aujourd’hui ?

Les Fables sont le grand livre de l’humain.

En effet, faut-il être français pour comprendre, avec « Le Songe d’un Habitant du Mogol », combien la solitude, la liberté intérieure et l’otium sont nécessaires à la réflexion et à la création ? Faut-il être français pour redécouvrir, avec « Les Deux Amis », que la véritable amitié n’a pas grand-chose à voir avec le sens galvaudé que l’on donne à ce mot à l’âge des réseaux sociaux ? Faut-il être français pour sourire, avec la fable « Les Oreilles du Lièvre », de la lucidité ironique face à toutes les tyrannies et aux caprices des puissants ?

J’y vois une des raisons de la perpétuelle actualité de La Fontaine : son évidente universalité se fonde sur l’esprit de liberté qui l’anime à tous égards. Liberté du Parnasse face à la Cour ; liberté de conscience de la République des Lettres face à l’absolutisme. Mais cette liberté est mûrie, détachée, sans illusion. Elle relève non d’une nonchalance à laquelle on se laisserait aller, mais d’un exercice spirituel consciemment entretenu.

On comprend les réticences de Louis XIV, quand Jean de La Fontaine entra à l’Académie française. Il se méfiait de ce créateur libre et peu inféodé, qui cultivait un recul distancié pour porter un juste regard sur le pouvoir. Alors seulement, il serait en mesure d’éclairer les puissants. Il reste, à cet égard, une référence lumineuse pour ce que doit être la vocation des esprits épris de liberté.

Dans sa grande salle des séances où l’Institut déploie son activité depuis si longtemps, bien des yeux de marbre scrutent le visiteur. Les statues en pied, toutes, illustrent les principales gloires du Grand Siècle dans les arts et les lettres. Jean de La Fontaine nous y regarde avec attention et bienveillance, près de la porte qui conduit à la salle où l’Académie française tient séance.

À travers les siècles, celui qui a tant fait honneur à la devise de son académie en servant si bien « l’immortalité » de la langue française, ne se contente pas de nous observer. Il attend avec impatience les commentaires des fables que ses successeurs du XXIe siècle vont maintenant proposer. La Fontaine nous écoute... et il ne sera jamais facile d’être digne de lui.

Xavier Darcos
Chancelier de l’lnstitut de France


* Rappelons que l’enregistrement en vidéo de cette séance est accessible à tous sur la chaîne YouTube de l’Institut de France.
Retour sommaire
• Siège administratif : 222, avenue de Versailles 75016 Paris •