Défense de la langue française   
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Éditorial N° 284


À Laurent Pernot
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Notre président, Xavier Darcos, chancelier de l’Institut, a accueilli notre invité d’honneur, le 2 avril, au déjeuner qui, au palais du Luxembourg, a suivi l’assemblée générale de l’Association.

Il me revient de dire un petit mot sur Laurent Pernot. Enfin, « petit », si j'ose dire, car il est difficile d’être succinct sur une telle personnalité. Mais je vais essayer d’être bref.

Laurent Pernot est mon confrère, puisqu’il est membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Reconnaissons d’emblée qu’il est fort embarrassant de faire un discours ou de tenir un propos liminaire sur le spécialiste des discours et des propos liminaires. On doit veiller à son expression !

Laurent Pernot, comme vous le savez, est un spécialiste des grands orateurs de l’Antiquité, tant grecque que romaine ; un spécialiste de la rhétorique, notamment de Démosthène et de Cicéron. Démosthène, disait-on, se mettait des cailloux dans la bouche pour s’entraîner à articuler et à bien parler. Mais nous avons proposé, pour qu’il ne parle pas la bouche pleine, que Laurent Pernot parle d’abord et que nous déjeunions ensuite.

Laurent Pernot a travaillé sur des questions extrêmement subtiles et notamment sur la question du sous-entendu auquel il a consacré une étude, il y a quelques années, dans un livre brillant que, comme beaucoup d’entre nous, j’ai lu très attentivement. Il va y revenir devant nous.

Ce n’est pas très difficile, avouons-le, de faire l’éloge de la carrière de Laurent Pernot, un normalien, un agrégé de lettres, un pensionnaire de la fondation Thiers, aujourd’hui professeur de grec à l’université de Strasbourg et membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Bref un cursus honorum absolument parfait.

Ses ouvrages font autorité, mais ils sont souvent plus inattendus qu’on ne croit. D’abord, évidemment, ce sont des ouvrages savants, qui relèvent d’une érudition extrêmement poussée, comme le prouve ce recueil, paru chez Vrin, qui résume tous ses travaux, intitulé Confluences de la philosophie et de la rhétorique grecques*, un livre qui ne doit pas être simplement composé de sous-entendus. Laurent Pernot y fait preuve d’une capacité de synthèse tout à fait étonnante, comme dans sa Rhétorique dans l’Antiquité**, livre fréquenté par tous les étudiants, par ceux qui se présentent à l’agrégation, un ouvrage de référence.

Mais à côté de ce travail de fond, on trouve chez cet éminent savant, cet érudit, ce professeur, beaucoup de facéties. Vous vous en rendez compte quand vous lisez son Art du sous-entendu***. Vous le verrez aussi quand vous vous intéresserez à son tout dernier ouvrage – que j’ai lu ce week-end : La Fièvre des urnes, 2 500 ans de passions électorales****. C’est évidemment un livre d’actualité, mais il montre à quel point cette actualité est une répétition et un éternel retour. Il cherche dans la littérature des illustrations de cette fièvre des urnes, de cette « passion », mot-clé de son livre, qui accompagne ou engendre les « fièvres électorales ». En même temps, il montre que cette passion des urnes est une force qui guide l’humanité, qui conditionne notre relation à autrui, notre insertion ou notre engagement dans la société. Il y fait référence

à Cicéron, à Shakespeare, à Stendhal, à Tocqueville et même à Emmanuel Macron. Le dernier chapitre s’intitule d’ailleurs « En marche vers la réélection ». Rassurez-vous, il s’agit de Montaigne. Je connais assez l’esprit facétieux de Laurent Pernot pour penser qu’il nous a poussés à hésiter à la première lecture de ce titre. À propos de Montaigne, il s’agit bien du deuxième mandat de celui-ci comme maire de Bordeaux. Nous serons bientôt renseignés sur la réalité de cette prophétie.

En juin dernier, Laurent Pernot avait accepté, à ma demande, de participer au quatrième centenaire de la naissance de La Fontaine et nous avons organisé une conférence à plusieurs voix où chaque Académie donnait l’occasion à l’un de ses membres de commenter une fable. Laurent Pernot avait choisi « Contre ceux qui ont le goût difficile ». De cette fable assez délicate, il avait montré les différents niveaux de rhétorique. Le sujet véritable de ce texte permettait de faire des comparaisons, notamment entre les diverses déclarations de candidature à la réélection de trois présidents de la République, chacun ayant choisi un niveau de style : élevé, moyen ou bas, sans pour autant conclure sinon par l’un de ses sous-entendus dont il maîtrise parfaitement l’art. On attendait la conclusion : quel style permettra de l’emporter ?

Je suis très heureux que Défense de la langue française ait sollicité Laurent Pernot. C’est un immense savant, mais c’est aussi un homme avisé, plein d’esprit et sympathique. Pour moi, il est l’incarnation de l’honnête homme, de ce que Cicéron puis Quintilien définissaient comme l’orateur parfait : « Vir bonus, dicendi peritus », « l’homme de bien, capable de parler ». Vous allez le vérifier tout de suite. Vous avez la parole, mon cher Laurent.
* 2022, 536 pages, 48 €.
** La Rhétorique dans l’Antiquité (Le Livre de Poche, 2000, 352 p., 8,90 €).
*** L’Art du sous-entendu (Fayard, 2018, 340 p., 19 €).
**** Éditions de l’Observatoire, 2022, 180 pages, 19 €.

Xavier Darcos
Chancelier de l’lnstitut de France


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