Défense de la langue française   
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Éditorial N° 285


Aux Plumiers d’or
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Notre président, Xavier Darcos, chancelier de l’Institut, a participé à la remise des prix du Plumier d’or, le 11 mai 2022 (voir p. II), et a félicité les soixante collégiens lauréats de ce concours.

C’est une grande joie de vous retrouver ici, à l’École militaire, et je veux remercier nos hôtes, qui sont eux aussi d’illustres défenseurs de la langue française et, plus largement, défenseurs de notre pays.
Je suis aussi très heureux de m’adresser à vous, jeunes lauréats des prix du Plumier d’or 2022 ; à vous, les professeurs qui les accompagnez avec talent et succès dans l’apprentissage de notre langue ; à vous, les chefs d’établissement qui avez accepté de soutenir cette initiative, et qui êtes aussi récompensés à travers les lauriers qui reviennent aux élèves ; et à vous tous, bien sûr, qui oeuvrez avec tant de dévouement au sein de notre association, pour l’organisation des concours, dans les délégations locales et qui vous engagez à tous les niveaux pour la vitalité de Défense de la langue française.
Ce nom raisonne particulièrement cette année, qui est celle du cinquième centenaire de la naissance de Joachim Du Bellay, né en Anjou au mois de mai 1522. Il y a quelques jours, des étudiants de l’université d’Angers sont venus sous la Coupole pour déclamer des sonnets de Du Bellay soit en prononciation du XVIe siècle, soit en les récitant à la manière du « slam », pour révéler avec une forme contemporaine la force intacte de cette poésie.
Bien sûr, pour chacun d’entre nous, il suffit de prononcer le nom de Joachim Du Bellay pour que ses vers les plus célèbres reviennent à notre mémoire :
                                                                                 Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
                                                                                Ou comme cestui-là qui conquit la toison,
                                                                                Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
                                                                                Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Ce quatrain m’offre l’occasion de saluer la Marine nationale et de la remercier pour son soutien au concours du Plumier d’or : car Jason, « cestui-là qui conquit la toison », reste avec les Argonautes une référence pour les marins !
Vous avez noté que, selon Du Bellay, celui « qui a fait un beau voyage » est « heureux », moins à cause du « beau voyage » que parce qu’il est enfin rentré chez lui « plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge » !
Je pense que chaque marin est aussi heureux de rentrer chez lui, lorsque sa mission est accomplie. Quant à vous, jeunes collégiens lauréats du Plumier d’or, je doute que vous rêviez de « vivre entre [vos] parents le reste de [votre] âge », mais je ne doute pas que vous rentrerez chez vous « plein d’usage et raison ».
Mais en mentionnant Du Bellay, c’est surtout à l’auteur de Défense et illustration de la langue française, que je pense aujourd’hui. Un hommage particulier lui est dû, à quelques jours du cinquième centenaire de sa naissance !
Car en expliquant pourquoi le français méritait d’être « défendu » et de devenir « illustre », le poète nous a donné une belle leçon de vitalité qui n’a pas pris une ride.
Du Bellay était conscient des fragilités de la langue française de son temps, qui subissait la concurrence du latin et de l’italien. Mais il avait foi en un principe de vie capable d’en faire une vraie langue de culture, de poésie, de beauté.
Aux antipodes d'une vision figée, plaintive, obsidionale, de la langue française, il la voyait en plein essor et en pleine mutation, capable de s’enrichir, grâce à l’inspiration et à l’audace des poètes, et aussi, à l’occasion, grâce aux emprunts à d’autres langues.
En rendant notre langue expressive et enthousiasmante, Du Bellay en a fait une langue d’avenir, et l’avenir lui a donné raison : nous sommes là pour l’attester.
Mais si l’on relit encore aujourd’hui la poésie de Du Bellay, c’est aussi parce qu’elle nous parle, et qu’elle exprime ce que nous ressentons sans toujours savoir le dire. N’est-ce pas le rôle des écrivains en général, et des poètes en particulier ?
C’est pourquoi je terminerai mon propos en vous lisant un célèbre sonnet de Joachim Du Bellay, le sonnet XIII des Regrets. Il correspond mieux à mon âge qu’au vôtre, puisque le poète y dit pourquoi il a eu raison de consacrer sa vie à la poésie, dans laquelle il trouve un appui toujours égal :
                                                                                Maintenant je pardonne à la douce fureur
                                                                                Qui m’a fait consumer le meilleur de mon âge,
                                                                                Sans tirer autre fruit de mon ingrat ouvrage
                                                                                Que le vain passe-temps d’une si longue erreur.

                                                                                Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur,
                                                                                Puisque seul il endort le souci qui m’outrage,
                                                                                Et puisque seul il fait qu’au milieu de l’orage,
                                                                                Ainsi qu’auparavant, je ne tremble de peur.

                                                                                Si les vers ont été l’abus de ma jeunesse,
                                                                                Les vers seront aussi l’appui de ma vieillesse,
                                                                                S’ils furent ma folie, ils seront ma raison,

                                                                                S’ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
                                                                                S’ils furent mon venin, le scorpion utile
                                                                                Qui sera de mon mal la seule guérison.


Chers lauréats du Plumier d’or, cultivez cette « douce fureur » qu’est l’amour de la poésie, sans craindre d’en faire « l’abus » de votre jeunesse, car un jour – dans très longtemps ! – elle sera « l’appui de [votre] vieillesse », et vous aurez plaisir à la transmettre à votre tour. Tel est le voeu que je vous adresse, avec mes félicitations, à vous, jeunes et déjà illustres défenseurs de la langue française !

Xavier Darcos
Chancelier de l’lnstitut de France


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