Défense de la langue française   
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Société Française des Traducteurs
(S.F.T.) - 22 rue des Martyrs
75009 PARIS
Septembre 1999
NOTE SUR LES BREVETS

        Les brevets sont une des principales sources d'information sur les progrès de la science et de la technologie. Ils représentent également un marché très important pour les traducteurs scientifiques.

        Un brevet est un contrat entre un Etat et un Déposant. L'Etat décide de délivrer un brevet en échange d'une description complète dans la(les) langue(s) officielle(s) du pays. Les brevets - et leur traduction - sont donc une garantie de démocratie, dans la mesure où chaque citoyen(ne) peut en fin de compte savoir ce que contiennent les produits qu'il (elle) achète. Un brevet comprend toujours une Description incluant un examen de l'état de la technique, un exposé de l'invention, et une série d'Exemples. On y trouve ensuite un nombre variable de Revendications, ainsi que (le cas échéant) des Dessins annexés, et enfin un Abrégé descriptif.

        Il faut souligner que la totalité du brevet est nécessaire pour obtenir une complète protection juridique de l'invention, et pour en percevoir pleinement le caractère novateur. Si l'on pense en particulier aux récents développements de la Génétique moléculaire et aux débats en cours portant sur l'alimentation et la santé humaine, on comprendra facilement la nécessité absolue du maintien et du respect de la réglementation en vigueur. On ne peut imaginer que les hommes politiques abandonnent ce cadre juridique ou le laissent dépérir. Cela mis à part, on ne voit pas non plus pourquoi les Etats attribueraient de tels monopoles sans compensation appropriée ni respect de la législation nationale.

        Ce sont en particulier les Exemples qui rendent l'invention brevetable. C'est là que les petites et moyennes entreprises (PME) trouvent les informations techniques qu'elles n'ont pas les moyens de se procurer par elles-mêmes. C'est là que les consommateurs apprennent si des expérimentations ont eu lieu sur l'animal, et il est facile de comprendre l'importance juridique, scientifique et pratique de la divulgation de tels faits. Une restriction de leur diffusion pourrait entraîner de notables difficultés et ouvrir la voie à toutes sortes de manœuvres, et finalement à une hausse des coûts. Une haute autorité judiciaire nous l'a récemment confirmé pour la France, mais il pourrait bien en être également de même un peu partout en Europe.

        Or les grandes sociétés multinationales (principalement américaines et asiatiques) sont de plus en plus rétives à ce système. Attachées à une «réduction des coûts» à court terme (et refusant de voir les manifestations de rejet qu'elle entraînerait), elles s'acharnent à détruire toutes les spécificités européennes, et trouveraient tout naturel d'obtenir des brevets en échange de presque rien. Ce type de «lobbying» pourrait après tout sembler naturel, mais certaines institutions publiques, au sein desquelles un petit groupe de fonctionnaires français, collaborant étroitement avec l'Office Européen des Brevets de Munich, leur emboîtent le pas et cherchent à supprimer la traduction de la plus grande partie des brevets dans les diverses langues nationales des pays européens. Nous croyons qu'il est important de les maintenir, non seulement pour les raisons exposées, mais aussi parce que, contrairement aux affirmations de ce «petit groupe», les coûts de traduction représentent peu de chose face à l'ensemble des coûts de recherche et de développement menant à une invention.
Pour ne donner qu'un exemple, un traducteur facture généralement environ 5000 FF pour un long brevet de 7500 mots. Ce type de gros texte concerne généralement les domaines de la chimie et de la pharmacie où les grandes sociétés multinationales n'hésitent pas à dépenser plus de 80 000 FF par médecin chaque année en France, rien qu'en publicité et études de marché !

        En bref, il ne nous semble pas opportun de réduire uniformément le coût des brevets, ce qui, encore une fois, avantagerait les sociétés extra-européennes. Il est en revanche possible de prendre des mesures appropriées afin de réduire les coûts pour les PME, comme une modulation des taxes ou une réduction de la TVA. Plutôt que de tailler aveuglément dans les «coûts», il est quelquefois plus intelligent de faire une place à d'autres considérations.

        Il nous semble également important qu'outre l'anglais les versions des brevets en langues nationales fassent également foi du point de vue légal. D'une part les langues analytiques comme le français, mais aussi, à sa manière, l'allemand (et l'on peut en dire de même d'autres langues) permettent bien souvent de préciser la pensée. Mais d'autre part il est également important de maintenir un équilibre approprié entre les langues de l'Europe. Le danois, l'espagnol, l'italien, le néerlandais, le portugais, le suédois, etc, doivent pouvoir exprimer les nouvelles notions, ne serait-ce que parce que la plupart des gens (y compris les scientifiques) pensent dans leur langue, et parce que, par opposition à ce que l'on peut appeler la triste uniformité d'une certaine Amérique, l'Europe a davantage à offrir, et que cette riche diversité est la clé d'une plus grande créativité, et à terme d'une plus grande compétitivité.

        Or, à l'initiative dudit petit groupe de fonctionnaires français, le Secrétaire d'Etat français à l'Industrie a organisé une Conférence ministérielle européenne en juin dernier sur ce thème, et mis sur pied un Groupe de Travail, constitué de fonctionnaires français, portugais et suédois. Contrairement à ce qui a pu être dit, aucun dialogue n'a été établi, et surtout pas avec les traducteurs. Les Conseils en Propriété Industrielle ont été finalement invités à participer, en dépit de leurs réticences, qui viennent du fait qu'étant directement en contact avec les grandes multinationales, il ne peuvent avoir l'air de ne pas soutenir la quête forcenée de la «réduction des coûts» à tout prix.

        Les Traducteurs doivent, dans leurs pays respectifs, interpeller les hommes politiques (ministres et parlementaires), et ne pas se satisfaire de réponses évasives. Il leur faut insister et souligner que :
-      il n'est pas vrai de dire que les coûts de traduction s'imputent après délivrance du titre, mais bien plutôt que la traduction est une condition préalable à son octroi, conformément à la réglementation nationale, à la Loi, et, quelquefois, à la Constitution elle-même ;
-      il est malhonnête de déformer et d'exagérer les coûts de traduction tout en refusant aux traducteurs le droit de s'expliquer ;
-      il paraît dangereux et absurde de déclarer que tel ou tel fonctionnaire pourrait avoir le droit de décider de ce qui est essentiel dans un brevet et de ce qui ne l'est pas, ceci étant par nature imprévisible ;
-      il serait particulièrement pervers de prolonger indéfiniment les délais de traduction, ce qui reviendrait à les supprimer ;
-      une centralisation de toutes les demandes de brevet à l'Office Européen des Brevets à Munich signerait l'arrêt de mort de tous les Offices nationaux des brevets et des Conseils en Propriété Industrielle, ainsi que de nombreux traducteurs, juristes, secrétaires, sous-traitants et, indirectement, d'autres emplois. Les PME ont besoin de conseils et de spécialistes de proximité.

Il nous semble en fait, tout bien réfléchi, qu'il vaut mieux y regarder à deux fois avant de prendre de telles décisions. Des mesures imprudentes et brutales établiraient une distorsion de concurrence en Europe entre les Anglo-saxons et les autres, et représenteraient un terrible précédent pour les traducteurs. Nous espérons que les Européens se rendront compte à temps qu'elles seraient une erreur.


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