• Siège administratif : 222, avenue de Versailles 75016 Paris • 01 42 65 08 87 • dlf.paris@club-internet.fr •
Déjeuner parisien
----------------------------------------
Avec Michel Bernardy,
une « leçon d’amour » du français bien dit
Le déjeuner trimestriel de DLF a dû laisser à tous les
participants un excellent souvenir. Non seulement Corinne
Mallarmé a le don de mener les choses avec une élégante et
délicate fermeté, mais elle nous a présenté un invité
d’honneur d’une rare qualité : un honnête homme, un érudit
et un personnage attachant par sa simplicité, par la
reconnaissance manifestée à ses maîtres comme Georges Le
Roy qui a formé Edwige Feuillère et Gisèle Casadesus, par son
attachement à notre langue, dont il aura passé plus de vingt ans de son existence, de
1972 à 1994, à faire découvrir les ressources, les ressorts, les charmes par les élèves
du Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Michel Bernardy a aussi
traduit une dizaine d’oeuvres de Shakespeare, en particulier
Le Roi Lear, joué, en
1978, à l’Athénée par Jean Marais.
Il a été lui-même acteur et pensionnaire de la Comédie-Française de 1960 à 1972.
Étudiant, je l’avais vu à Lille dans les années 50, lors d’une tournée – j’ai oublié dans
quelle pièce –, mais son nom est resté gravé dans ma mémoire, car il avait l’art de
dire. Aucun mot n’échappait à l’oreille du spectateur : une articulation parfaite. Il
jouait vrai et juste. Un seul acteur, à la même époque, m’a laissé la même
impression : Paul Guers, Hippolyte dans
Phèdre avec Marie Bell et Jean Chevrier.
Le 18 octobre dernier, nous sommes devenus les élèves de ce remarquable
pédagogue qui, loin de toute pédanterie, nous a montré, avec beaucoup de modestie
et sans nous administrer les termes rébarbatifs d’un vocabulaire spécialisé, comment
l’acteur doit être le serviteur d’un texte, « c
omment il est à la fois l’instrumentiste qui
éprouve et l’instrument qui doit exprimer pour que le spectateur à son tour éprouve ce que
l’auteur a exprimé ».
Ce « maître du langage », qui a appris à des générations de jeunes comédiens «
à
respirer la phrase », où placer les césures et les silences «
pour prendre possession de la
forme du texte », a multiplié les exemples. «
J’ai rencontré un marchand de tapis
chinois. » C’est la manière de dire qui nous indiquera si c’est le marchand qui est
chinois ou les tapis qui le sont. L’acteur doit décortiquer son texte comme le
musicien analyse sa partition. Savoir projeter un texte suppose une bonne
articulation et une excellente maîtrise de sa respiration. D’autre part, «
les Français
sont amenés à compter toutes les syllabes, car notre langue n’a pas d’accent tonique
marqué phonétiquement. Un groupe de mots se comporte comme un seul mot et c’est
toujours la dernière syllabe d’un groupe syntaxique qui porte le poids de l’inflexion ».
Et comment ne pas parler de l’alexandrin, vers français par excellence, qui a
toujours son repos après la sixième syllabe et qui, par ses coupes et sa musique, par son rythme adapté, charme toujours nos oreilles et soutient notre mémoire ? Du rôle
de la diérèse dans l’élocution versifiée, c’est-à-dire du dédoublement d’une syllabe qui
serait unique en prose. Et de donner deux exemples passi-on, ru-ine. Il fut aussi
question de l’allongement racinien, cher à Claudel...
Ont été évoqués d’autres sujets comme le trac, les enregistrements, le texte parlé avec
accompagnement d’orchestre : Michel Bernardy a joué le rôle de Frère Dominique
dans la
Jeanne d’Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger, avec Claude
Nollier, titulaire du rôle de Jeanne à l’Opéra de Paris, qui devint elle-même professeur
de diction au Conservatoire de Boulogne-sur-Seine. Deux « magnifiques acteurs » ont
été salués au passage : Pierre Fresnay et Fabrice Luchini.
Verba volant... Pas tout à fait. Michel Bernardy a écrit un ouvrage passionnant pour qui
s’intéresse à la poésie et au théâtre :
Le Jeu verbal. Oralité de la langue française préfacé
par Valère Novarina (L’Âge d’Homme). Grâce à Guillemette Mouren, des participants
au déjeuner ont pu emporter ce précieux ouvrage, clé de très beaux textes et
célébration du langage, patrimoine de chacun d’entre nous. Merci Michel Bernardy !
Jacques Dhaussy